En bas, dans la salle à diner, nous
déjeunons au milieu des écrans de télé qui nous renvoient les points forts de
la veille par le biais de l’émission quotidienne du matin de la BBC. Dire que
chez-nous au Québec, pas un journal ne parlera de notre équipe qui gagne des
médailles sous le fleurdelisé ou d’un Québécois qui gère une fédération
internationale d’un sport d’abord européen. Personne ne parlera de ce Québécois
qui travaille plusieurs centaines d’heures par année, bénévolement, pour
produire ces tournois gigantesques en collaboration avec des châtelains, des
gouvernements ou des organismes municipaux depuis 3 ans. Et surtout que ces
tournois attirent 500 combattant(e)s provenant d’une trentaine de pays. Nul
n’est prophète en son pays que l’on dit. Ouans c'est plutôt ne pas vouloir regarder
l’éléphant dans la pièce.
Nous ne trainons pas et traversons à
nouveau le petit chemin qui nous mène sur le terrain du tournoi.
Il fait encore un temps magnifique, la
météo annonce du beau temps pour encore plusieurs jours, ce qui est assez
inhabituel en Écosse, faut croire que nous apportons toujours le beau temps
avec nous lors des tournois. L’an dernier au Danemark, nous avions eu une semaine
complète d’ensoleillement avec des températures de 22-25°celcius.
Les combats des duellistes commencent
alors que nous arrivons aux abords de la lice, le commentateur écossais, malgré
qu’il soit vêtu en civil, est pas mal bon finalement. Notre méfiance en début de
tournoi s’est rapidement transformée en complicité, il a compris que c’est un
sport et le traite comme tel. Il anime superbement en soulevant la foule
facilement enthousiasmée par les combats enlevants et régulièrement, pendant
les moments morts, il fait de courts interviews avec des combattants pour faire
patienter la foule et mieux encore, l’éduquer à propos de ce sport.
Carole arrive comme toujours avec son
grand sourire et son sens de l’humour imparable, elle doit retourner faire des
courses, elle doit faire le plein de jellybeans et d’oranges et m’offre
de l’accompagner. J’ai justement besoin de nous ravitailler jusqu’à demain soir,
alors j’accepte volontiers, et après avoir prévenu Ben, nous partons faire des
courses en ville, toujours aussi costumées, colorées et de bonne humeur.
À notre retour, les duels sont déjà
terminés, Yan a fini ses combats et ne s’est malheureusement pas qualifié,
alors que Gabrielle a remporté son pool elle va donc en quart de finale en
début d’après-midi. La journée va être intense pour elle puisqu’elle devra poursuivre
avec les combats de béhourd.
Je vais partager l’euphorie ambiante à
notre campement tout en préparant un petit gueuleton que nous mangerons en
après-midi en haut dans la chambre des commentateurs. Benoit y est depuis un
bon moment avec Dave pour la suite du 5 contre 5, la catégorie la plus longue parce
qu’il y a plus d’équipes participantes. Aux micros, le duo écossais-québécois très
animé et haut en émotions tient la foule stimulée.
Je laisse le groupe pour aller rejoindre
Benoit en emportant un cidre bien froid pour lui. Au même moment, Brendan vient
remplacer Dave, il est plus calme et posé, tous deux font un excellent travail en
collaboration avec l’animateur en bas. Les combats deviennent de plus en plus
excitants à suivre.
On jase, on prend des photos, on relaxe…
Gabrielle gagne contre la Danoise,
toujours bien entourée de son amoureux et coach Dan, de son amie Béné et bien
sûr de la majorité des Québécois. Puis en demi-finale elle gagne contre l’Anglaise
et se retrouve nez à nez avec l’Ukrainienne, donc l’or ou l’argent!
Elle rayonne, et ne semble pas trop
souffrir de ses combats aussi rapprochés, parce que c’est ce qui arrive, plus
on se rapproche du podium, moins il y a d’adversaire et plus les combats
arrivent vite. Mais déjà elle entre dans la lice et mon p’tit doigt me dit qu’elle
va remporter celui-là aussi.
Et, après deux rounds, sous les « Québec!
Québec! Québec! » de l’équipe, de la foule, Gabrielle gagne l’or! C’est la joie!
Dom brandit bien haut notre drapeau et court faire un grand tour de lice. Bravo
Gabrielle !! Sur cinq catégories de duels auxquels ils participaient, les
Québécois(e)s ont remporté quatre médailles dont deux d’or! Nous sommes si
fiers d’elles et de lui.
Mais notre championne n’a pas beaucoup de
temps après la pause, les combats féminins commenceront, et elle fait partie de
l’équipe. Après l’avoir félicité chaudement, nous retournons là-haut, Benoit
tient à commenter cette partie du tournoi. Il n’a pas à être neutre puisqu’il n’intervient
aucunement dans l’arbitrage, et même s’il est fier de notre équipe, il ne tarit
jamais d’éloges, d’anecdotes et de commentaires constructifs et informatifs sur
les combattants qu’il connaît, peu importe d’où ils viennent, c’est-à-dire, à
peu près tout le monde.
Je m’installe confortablement, d’où je
suis, je verrai toute l’action, sans aucune tête qui me bloque la vue et à l’ombre,
le bonheur! Benoit me suggère aussi la minuscule chambre juste à côté, je
pourrai me promener d’une fenêtre à l’autre pour différents angles de photos. D’ailleurs
Caroline, notre photographe y est déjà, Ben lui a offert cette place parce qu’elle
n’arrivait pas à faire son travail en paix. En effet, comme elle est toute
petite, elle se faisait constamment pousser par d’autres photographes ou
journalistes, sans gêne et sans scrupule, malgré son identification à son cou.
On annonce le début des combats, Benoit s’installe
au micro et moi je vais saluer Lady Murray qui passe dans le couloir avant qu’elle
n’aille s’installer elle-même à une autre fenêtre, puis je vais m’assurer que
Caroline n’ait besoin de rien. Je reviens m’asseoir juste à temps pour voir
Karin porte drapeau de l’équipe féminine, s’avancer dans la lice et faire un tour
de lice, voilà l’équipe du Québec qui affronte leur plus féroce adversaire, l’équipe
de l’Ukraine. S’avancent, Cloée, Béné et pour la première fois Marie-Pier.
L’arbitre s’assure que les deux équipes
sont prêtes et crie « fight »!
Les filles s’engagent, et s’affrontent, Béné
tombe avec son adversaire, Cloée en fait tomber une deuxième, puis agrippe la
troisième qui lutte contre Marie-Pier, Cloée tombe et l’entraine avec elle, fin
du premier round remporté par notre équipe!
Deuxième round, Fanny maintenant, qui débute
comme Marie-Pier dans l’équipe. Elle est accompagnée de Gabrielle et de Béné.
Les filles se dispersent dès le début, Béné tombe en entrainant au sol son adversaire,
Fanny est mise au sol par une des deux Ukrainiennes debout. Gabrielle se
retrouve contre la lice assaillie par les deux autres combattantes et leur
résiste étonnement longtemps, elle qui a fait des combats toute la journée. Le
gain va à l’équipe adverse.
Elles doivent donc faire un troisième
round pour déterminer qui va gagner. On envoie le trio de vétéranes :
Cloée, Béné et Gabrielle qui s’engagent avec assurance sur leurs adversaires.
Elles s’avancent d’un même concert en les acculant dans un coin. Gabrielle
lutte et amène son adversaire avec elle au sol, Cloée fait de même, reste Béné
contre la lice qui succombe à son adversaire. Les Ukrainiennes remportent le
combat. Mais à ce stade-ci, la médaille d'or n'est pas encore en péril.
Au bout d’une trentaine de minutes, nos filles
reviennent et cette fois, contre les Françaises. Karin et la porte drapeau française
viennent agiter leur drapeau dans la lice. Béné et Gabrielle s’avancent côte à
côte au milieu et Cloée longe la lice comme elle le fait souvent pour prendre de
côté. Les trois, chacune à leur adversaire, Gabrielle en fait tomber une, Cloée
lutte un moment contre la sienne et finit par l’amener au sol avec elle, reste
Gabrielle et Béné contre la dernière qui s’installe sur la lice, Béné s’accroche
à elle pour la faire tomber, mais son épée glisse de derrière la tête et elle
tombe par inadvertance, laissant Gabrielle seule avec la Française qui ne fait
que résister sans trop bouger en s’agrippant à la lice. Gabrielle frappe et
frappe encore, incroyable qu’elle ait encore autant d’énergie après deux
minutes de combat, l’arbitre doit intervenir parce que la Française s’agrippe
illégalement pour s’empêcher de tomber. Mais Gabrielle continue de distribuer
coup sur coup avec son arme ou son bouclier, un moment la Française s’appuie de
tout son poids sur Gabrielle qui est littéralement pliée en deux, mais
Gabrielle réussit à se sortir au bout de quelques secondes et revient à la
charge en frappant encore au corps et aux cuisses, son adversaire s’accroche
encore à la lice et l’arbitre doit encore mettre son bâton sur le bras
coupable de la Française, elle vient donc s’appuyer encore sur Gabrielle, c’est à croire que c’est
sa seule façon de gagner. Cette fois, ça parait mal, plusieurs secondes, puis
miraculeusement Gabrielle réussit une fois de plus à sortir de sa prise. La
foule hurle d’excitation! Gabrielle revient à la charge, les adversaires
luttent puis Gabrielle contre tout espoir empoigne son adversaire et la fait
valser au sol. Wow! Elle a lutté presque trois minutes, seule à seule, trois
minutes c’est très long!
Deuxième round : Marie-Pier, Fanny et
Cloée
En quelques secondes Fanny et Marie-Pier en
font tomber deux, Cloée qui lutte n’a pas le temps de distribuer des coups,
trois contre une, le combat est arrêté, ça ne fait même pas 20 secondes que le
round a commencé. Les rounds se suivent mais ne se ressemblent pas.
Québec gagne contre la France!
Je descends féliciter les filles et jaser
un brin ici et là et en passant devant une estrade, y a un monsieur qui m’arrête
et me demande si on m’a déjà dit que je ressemblais à Mérida, et apparemment la
moitié de l’estrade a entendu la question et éclatent tous de rire en me voyant
rouler des yeux, faussement exaspérée et rire de bon cœur avec eux. J’ajoute
que je n’ai malheureusement pas le fort accent écossais de la princesse rousse
mais j’ai un caractère très semblable, ce qui les fait encore plus rire. Y en a
un qui réplique que les Québécoises, en désignant la lice, elles sont fortes!
Je lui dis avec un clin d’œil qu’il n’a rien vu encore et que demain elles vont
probablement défendre à nouveau leur titre de championnes mondiales. Les
spectateurs autour sont enthousiastes à mes propos et je le sens, je viens de
gagner un public pour encourager notre équipe féminine puisque l’Écosse n’en a
pas de toute façon.
On annonce le prochain combat, Québec contre Afrique du Sud. Je remonte rejoindre Benoit en haut après avoir souhaiter bonne chance à l’équipe, il est maintenant accompagné de Chris Capaldi qui commente de son point de vue de joueur de Rugby professionnel.
C’est Cloée Fanny et Béné qui font le
premier round. Chacune s’avançant vers une adversaire, Béné lutte un moment
puis tombe avec la sienne, Cloée coincée quelques secondes sous le bras de la
sienne, finit par faire tomber son adversaire et venir à la rescousse de Fanny
qui tient son adversaire pendant que Cloée frappe fort comme toujours, la
pauvre chancelle et Fanny lui assène le coup de grâce. Premier round gagné! Elles
aident toutes deux, la malheureuse assise par terre à se relever.
Deuxième round, Marie-Pier, Béné et
Gabrielle entrent en lice. Elles s’avancent ensemble côte à côte, puis
Marie-Pier sur la gauche passe par derrière en se dirigeant et traverse à
droite complètement, j’imagine pour dérouter les adversaires. Rapidement
Gabrielle en fait tomber une, puis Béné en fait tomber une deuxième et vient
rejoindre Marie-Pier qui lutte de son côté, elles se retrouvent trois contre
une, le combat arrête, les Québécoises gagnent contre l’Afrique du Sud.
Finalement leur dernier combat de la
journée, encore une trentaine de minutes plus tard, est contre l’Australie. Après
le petit tour de piste de Karin qui brandit bien haut le fleurdelisé,
Marie-Pier, Fanny et Béné entrent en lice. Même tactique qu’au dernier combat,
elles avancent ensemble puis Marie-Pier bifurque à droite. Chacune séparément,
Marie-Pier se retrouve contre deux adversaires et en fait tomber une. Béné
échappe son fauchon et doit courir se chercher une autre arme, c’est la règle.
Fanny lutte de son côté et Béné vient rejoindre Marie-Pier pour l’aider à faire
tomber une des deux Australiennes, ce qu’elle réussit mais tombe avec elle. Marie-Pier
vient aider Fanny à faire tomber la dernière qui s’écroule sous les coups de
hache à deux mains de Marie-Pier.
Deuxième round, cette fois, Cloée, Béné et
Marie-Pier s’avancent dans la lice. Le combat s’engage, chacune avec une
adversaire, Cloée et son adversaire tombent après quelques secondes, Béné et
Marie-Pier sont forcées de lutter pour déloger leur adversaire qui restent collées
sur la lice, personnellement je déteste quand les combattants se contentent de
ne pas tomber, ça peut durer longtemps et devenir un peu ennuyant. Béné finit
par tomber avec la sienne, reste Marie-Pierre contre la dernière Australienne.
Les filles sont déplacées de la lice car,
le gant de Marie-Pier est coincée, le combat reprend, de notre côté nous savons
que Marie-Pier s’est fracturé le cubitus près du poignet la semaine passée en Italie
durant le tournoi de BOTN et a décidé de se battre quand même, nous imaginons
sa douleur. Elle réussit tout de même très bien à tenir sans trop donner de
coups en bougeant et en obligeant son adversaire à bouger dans le milieu.
Marie-Pier est grande et athlétique, elle a un bon cardio et son adversaire
semble s’essouffler, ce qui lui donne une chance de s’en sortir malgré sa main
cassée. Bien sûr nous avons tous gardé le secret pour éviter que ses
adversaires tournent cet handicap à leur avantage en tentant de frapper sur sa
main. Au bout de deux minutes et demi, Marie-Pier réussit à la faire plier et
la faire tomber. Québec gagne! Demain elles seront en finales!
On ne le dira jamais assez, pour faire ce
sport, il ne suffit pas d’être fort ou comme le pensent à tort certains, d’être
corpulent, il faut être en bonne forme physique, Gabrielle et Marie-Pier l’ont
démontré en tenant deux à trois minutes avec une armure sur le dos, Gabrielle
après une journée à faire ses duels et Marie-Pier avec une main cassée.
Demain, quatre équipes s’affronteront en
finale, l’Ukraine, les États-Unis, la Finlande et le Québec.
Pour l’instant on finit la journée avec le
All vs all hors catégorie qui est ouvert à tous, d’abord chez les femmes
ensuite chez les hommes. Je suis curieuse de voir si nos Québécoises y
participent, je pense que ce serait une mauvaise idée d’aller risquer d’être
blessée la veille des finales. Néanmoins je vois un tabard du Québec s’avancer
dans la lice, mais je ne reconnais pas le casque…pour une bonne raison, c’est
Charles qui essaie de s’immiscer dans le combat de filles. J’en informe Benoit
en riant, qui le dénonce au micro, Charles lève les bras dans un geste comique de
grande déception, ce qui fait rire la foule qui s’attarde encore dans les
estrades. Elles sont une vingtaine à venir s’amuser et pour cause ce sont
toutes des combattantes qui sont éliminées des finales.
Tout de suite après, une cinquantaine de
gars clôture la journée avec leur All vs all, ces combats de fin de
journée permettent aux adversaires d’être aussi, le temps de quelques rounds, dans
la même équipe. Il ne faut pas oublier que la fédération c’est une communauté qui
se côtoie chaque année au tournoi international comme celui-ci, dans d’autres
tournois comme ceux où nous sommes allés déjà (Irlande, Japon, Argentine, E-U,
etc.) mais aussi sur les réseaux sociaux, donc ça va de soi que la plupart des
combattants et des arbitres se connaissent de près ou de loin.
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