Le « All vs all » vient tout juste de
commencer mais sans nous y attarder, c’est le cœur en liesse que nous
redescendons à notre campement avec nos amis belges. Les bouteilles de bières sur
la table se vident à mesure que le soleil se couche et tout en célébrant la
victoire de Béné, nous réalisons que l’alcool fort coule aussi en bonne
quantité et trop vite, nous rappelons que les gars doivent affronter l’équipe
polonaise le lendemain…matin. C’est une équipe très forte, mais si nous
gagnons, nous ramenons une médaille de bronze, et tant que le tournoi n’est pas
terminé nul n’en connaît l’issue. Après avoir eu l’impression de parler chinois
en s’adressant ainsi aux autres, Benoit prend Andrew à part et lui rappelle que
son devoir de capitaine est de ramasser son équipe et de les ramener à l’hôtel le
plus tôt possible pour éviter d’avoir une équipe encore éméchée à présenter le
lendemain. Ils pourront faire la fête demain quand tout sera fini. Andrew qui a
déjà un peu commencé le party aussi, a beau approuver, toutefois sans grande
conviction, nous sommes convaincus que c’est perdu d’avance. Nous en sommes
conscients quand on tente de faire entendre raison à ceux susceptibles de raisonner,
nous sommes les « casseux de party », donc après un rappel chargé de colère de
Ben à Andrew, nous prenons les clés de voiture et nous quittons pour notre
hôtel.
Nous mangerons dans notre chambre
d’hôtel après avoir acheté des fromages, saucissons, noix et quelques bières à
l’épicerie en face. Nous sommes furieux, le mot est même un peu faible. Nous
mettons toutes nos billes dans ce tournoi et voulons maximiser les chances de
ramener une médaille, des médailles ça attire les médias et les médias ça
attire les foules, et au final ça fait connaître ce sport. Au Québec, nous en
avons besoin de ce «spotlight», dans la plupart des pays participants au
tournoi, le béhourd prend de l’ampleur, sauf chez nous, on a peine à avoir une
équipe complète vraiment sérieuse. Et ce soir nous en avons encore une fois la
preuve. Y en a un qui revient plus tôt, il a quitté le party parce qu’il y a du
souci chez eux, son cœur n’est pas ici, et il a dû se rendre compte que
l’alcool n’était pas suffisant à lui faire oublier.
Benoit est un peu dégoûté, il a fait
des compétitions dans d’autres sports et jamais on ne tolère que les athlètes
fassent la fête la veille d’un combat. Comment prendre ce sport au sérieux
alors? De mon côté, j’ai des relents d’Aigues-Mortes et ça me décourage, au
moins, pour une fois, je ne suis pas seule.
Andrew finit par arriver, il est autour
de minuit, il a ramené une partie du groupe, tous à des degrés divers d’ivresse,
il est en colère parce qu’il s’est engueulé avec un ou deux gars de l’équipe
qui sont demeurés là-bas. Certains convaincus de l’impossibilité de vaincre l’équipe
polonaise, ont décidé que c’était inutile de se préparer, comme mentalité de
looser on ne fait pas mieux. Il y en a un dans l’équipe particulièrement fêtard,
qui ne se bat pas et qui est venu « en principe » pour servir d’écuyer, il est
le premier à dériver et à tenter d’en entraîner d’autres dans son sillage. Andrew
prend le parti de son ami et coach…et de la raison, avec l’alcool grand vecteur
de querelles, la guerre a pogné, et tout ce beau monde devra se retrouver dans
la lice dans quelques heures, Bravo! Au moins y en aura un qui sera plus frais
que les autres, et cette fois-ci, à moins d’un miracle ultra céleste
millénaire, l’Ost perdra contre les Polonais.
Après une courte nuit de sommeil, et
après avoir réveillé Andrew et lui rappeler, de rappeler aux autres le combat
de ce matin, nous n’avons pas très envie de voir qui que ce soit avant d’avoir
bu un café, ce qui est impossible en restant à l’hôtel, nous irons déjeuner
chez notre vieux chum Mc Donald. Ce matin j’ai commencé à ramasser un peu nos
bagages qui sont, chaque voyage, étalés comme s’ils avaient explosé dans la
chambre. Le désordre n’est pas tellement un sujet de dispute pour moi et Benoit.
Nous sommes tous les deux bordéliques, nous pouvons re-décorer une pièce en
moins de deux, mais il vient un temps où faut se ramasser et je suis celle qui
s’en soucie le plus rapidement. J’ai rangé tous les costumes et les accessoires
historiques, en dehors de ce que nous porterons aujourd’hui. C’est déjà presque
la moitié des bagages d’emballés et qui resteront fermés jusqu’à notre retour à
Montréal dans quelques jours. Demain, nous quittons Malbork et nous passerons
la journée à Gdansk, puis repasserons chez Adam à Eberswalde avant de retourner
à Francfort pour reprendre notre vol.
Le ventre plein, le grand café fort dans
les mains, nous devrions être en mesure de commencer la journée. Les autres arrivent
et sortent leurs pièces d’armure sans grand enthousiasme. Les filles leur
donnent un coup de main tout en discutant avec nos voisins belges pas très
frais non plus, mais eux au moins, ils ont terminé de concourir. Ben enfile ses
jambières et son gambison et je l’aide à transporter le reste de l’équipement jusqu’à
la lice avec les autres membres de l’équipe. L’ambiance s’est un peu réchauffée
parmi les Québécois, l’absence d’éléments à problème aide beaucoup à ramener la
paix.
On annonce le prochain combat :
Québec-Pologne! Les gars se dirigent sur le bord de la lice, et finissent de s’armurer,
l’arbitre, comme toujours, vérifie et s’assure que le casque de chaque
combattant soit bien attaché, avant de donner son approbation. Les gars se
mettent en ligne, face à leurs adversaires et attendent le signal « Fight! ». Les
Polonais encouragés par la foule, prennent vingt secondes à mettre toute l’Ost
au sol au premier round et quarante secondes au deuxième round. Un massacre! Ils
sont très fort et ils ont la foule avec eux, mais la victoire est encore plus
facile quand l’équipe adverse a perdu psychologiquement avant même de
commencer?
Malgré tout, en sortant de la lice, le
capitaine québécois, salue respectueusement la foule. L’Ost est éliminé.
Dans quelques minutes commencent les
finales pour les équipes de 5, de 10 et de 16, les combats des deux dernières
catégories ont eu lieu la veille et l’avant-veille après les duels. Les équipes
étant plus grandes, elles sont moins nombreuses à concourir, ainsi ça va un peu
plus vite. Quand nous retournons sur le bord de la lice après avoir aidé nos
gars, nous arrivons juste à temps pour voir les Polonais remporter la finale
contre les Anglais. Puis soudainement je vois apparaître une Polonaise dans le
milieu du terrain, visiblement la douce d’un des combattants qui se tient dans
le milieu et qui l’invite à le rejoindre, je sens qu’il se passe quelque chose
d’important, j’ai des antennes pour ce genre d’affaire. Le Polonais qui a une
oreillette en guise de micro s’agenouille devant sa dulcinée quand elle arrive à
sa hauteur, ça y est j’ai déjà les yeux plein d’eau avant même qu’il la demande
en mariage, j’ai beau rien comprendre au polonais, le langage de l’amour est
universel, et je crois bien que je pourrais reconnaître une déclaration d’amour
même en klingon,
L’amoureux, toujours agenouillé, lui
présente son petit boitier avec la bague de fiançailles, et bien sûr elle dit
oui et lui saute au cou. En jetant un coup d’œil autour de moi, je peux voir qu’il
y a pas mal de dames qui soupirent et qui regardent en coin leur copain qui
lui-même doit trouver l’idée de faire sa demande dans ce contexte assez
intéressante. Ce n’est guère étonnant en effet, si on considère que le
béhourd est issu de la chevalerie comme on se la représente au Moyen âge, et cette
« chevalerie » à mon avis c’est le pendant masculin de « romantique ». Dans
cette demande en mariage, je peux voir la rencontre d’un fantasme partagé, mais
avec des mots différents pour le nommer. Et c’est justement quand il est
partagé ainsi qu’il est puissant, je pense qu’un homme qui vient de se battre,
tout en sueur qui s’agenouille devant celle qu’il aime et pour ajouter, prend
délicatement le tissu de sa robe pour y déposer un baiser va émouvoir pas mal
plus que celui qui apporte des fleurs et une boîte de chocolat. Non? L’amour au
fond ça coûte pas cher!
Bon évidemment y aura toujours aussi dans
cette foule qui m’entoure, les autres gars qui maudissent secrètement ce fiancé
polonais inspiré, parce que leur blonde va leur en parler toute l’année dans l’espoir
de vivre un moment comme celui-là. Ça, y en aura toujours malheureusement et dans
tous les milieux, mais chères demoiselles célibataires, je vous le dis, ce
milieu du béhourd est un terreau fertile. ;-)