Le tournoi peut commencer, tout le monde
est prêt et semble impatient d’y participer, l’atmosphère est fébrile dans la
cantine bondée et il fait un temps radieux. Aujourd’hui nous aurons les duels à
la hallebarde, l’Ost présente Cloé et Dom qui débuteront dès la cérémonie
d’ouverture terminée.
Cloé avait demandé à Benoit s’il pouvait
être dans son coin lors de ses combats et celui-ci lui avait promis qu’il y
serait sans faute. Il lui rappelle sa promesse ce matin, question de la
rassurer puisqu’il a tellement été occupé depuis notre arrivée. Il a organisé
sa journée pour faire en sorte qu’il ait le plus de disponibilité pour elle.
C’est important pour lui d’être à ses côtés, comme il l’a toujours fait depuis
qu’elle a intégré l’équipe des Blackwolves, il y a deux ans.
On nous annonce que la cérémonie va
bientôt commencer et que nous devons descendre près du château pour le défilé
habituel. Les combattants n’ont pas besoin de mettre leur armure bien que
plusieurs enfilent tout de même quelques pièces avec leur tabard. Tous les
Québécois du groupe, mettent leur ceinture fléchée et amènent le drapeau
gigantesque du Québec. Je trouve ça très drôle, je constate à quel point nous
prenons de la place, comme si nous avons soif depuis si longtemps d’être
reconnus, de nous démarquer culturellement. Et ici nous pouvons exister, et
quand on gagne des médailles c’est en notre propre nom et non celui du Canada.
Les équipes se mettent en rang, en ordre
alphabétique, de sorte que nous sommes loin derrière, mais juste devant les
Écossais, ensemble nous formons une grosse tache bleue et blanche. Avant que le
défilé ne se mette en branle c’est toujours un peu long et chacun en profite
pour bavarder dans les rangs. Je fais de même quand je vois Nuno et Isabel
passer tout près de moi, quel bonheur de les revoir! Maintenant que le flambeau
est passé au Danemark, ils peuvent relaxer, on se rappelle que l’an dernier, le
tournoi s’était organisé chez eux à la très dernière minute. Benoit et Nuno
avaient relevé le défi alors que beaucoup avaient baissé les bras et avaient
envisagé de passer à Botn (les compétiteurs). L’organisation avait été ultra
stressante, Benoit et Nuno avaient tenu à bout de bras ce tournoi, tous les
jours Benoit avait dû tenter de convaincre chaque équipe de participer, malgré
la propagande qui se faisait derrière pour tuer le tournoi IMCF. Un combat
quotidien épuisant et bénévole mais qui a donné des résultats éclatants compte
tenu des complications qui viennent avec le manque de temps, d’argent et
d’aide. Mais aujourd’hui c’est derrière nous tout ça et nous en discutons avec
un brin de désinvolture tous les trois. L’IMCF est bien assise sur des bases
plus solides, le défi qu’a surmonté Benoit l’an dernier ne l’a que conforté
dans son rôle de vice-président et il tient sa place et ses tâches comme un
pitbull sur un os.
Le défilé se met en branle, je quitte mes
amis pour aller prendre place auprès de mon groupe, qui dans la bonne humeur
entame haut et fort, des chansons de la « Bottine souriante ». Nous sommes très
colorés, diversifiés dans nos vêtements médiévaux, dix gars (Ben est avec le
présidium dans la lice) et neuf filles. Tous unis, sous notre drapeau, par
notre musique et symboliquement avec notre ceinture, ça fait du bien à mon âme.
Nous prenons place à notre tour dans la
lice, face aux estrades pleines de spectateurs et écoutons le discours du
président Hubert en anglais et celui de Bo, directeur du musée en danois,
puisque c’est à la foule de spectateurs assis dans les estrades qu’il
s’adresse. Pour poursuivre la tradition, je suis en train de brûler sous le
soleil, même si nous restons environ 30 minutes dans la lice. La cérémonie ne
s’éternise pas, nous devons faire vite car nous avons beaucoup de combats
aujourd’hui. Aussitôt qu’Hubert lance son « Let the tournament begin! » les
équipes s’en vont rapidement à leur quartier général pour préparer leurs
duellistes masculin et féminin.
Les arbitres reconnaissables de loin avec
leurs tuniques jaunes sont déjà en train de s’installer près de la lice, je
vais faire un coucou à Steve notre knight
marshall (arbitre en chef) que j’avais croisé la veille avec beaucoup de
bonheur. Avec le voyage qu’on a fait ensemble en Argentine deux mois plus tôt,
il est maintenant un ami pour la vie, et c’est la même chose pour Caitlin dont
la bedaine a poussé depuis deux mois. Comme à son habitude elle marche pieds
nus, j’imagine qu’aujourd’hui dans le sable chaud, c’est plus confortable qu’à
Malbork, quand je l’ai connu, enceinte de 7-8 mois, sans ses bas et ses
chaussures, où il faisait quand même assez froid et humide.
Cloé et Dom arrivent et s’installent près
des arbitres et attendent leurs combats, deux petites lices ont été aménagées à
l’intérieur de la grande pour permettre de faire deux combats en même temps. Dom
en est à sa première expérience en tournoi IMCF et Cloé y participe pour la
deuxième fois et elle a bien l’intention d’aller chercher l’or cette fois.
Mais si Cloé a perdu son premier combat
contre l’Ukrainienne, elle a gagné tous les suivants, ce qui fait qu’elle se
retrouve en après-midi, nez à nez, en finale contre l’Ukrainienne. Cloé athlète
ultra performante, a dominé complètement toutes ses adversaires et personne
n’est surpris qu’elle se hisse à la première place, une médaille d’or qu’elle
va chercher presque facilement cette fois-ci. Faut dire que Cloé est, je crois,
du moins au Québec, la fille qui s’entraîne le plus régulièrement et le plus
sérieusement, elle fait du cardio, de la lutte, du football et enfile son armure
dès qu’elle en a l’occasion. Rappelons-le, elle a fait un tournoi en Irlande à
l’automne, elle en a fait aux États-Unis et BOTN en Espagne le mois précédent. L’an
dernier, au Portugal, elle avait remporté la médaille d’argent, dans des
conditions qui ne lui étaient pas favorables. Son armure avait été égarée à
l’aéroport et quand on le lui avait rendu, elle avait fait la moitié de ses
combats avec l’armure de Christine, une armure bien différente de la sienne et
qui limitait ses mouvements.
Elle remporte sous nos cris
d’encouragement, la médaille d’or! Comme nous sommes fiers d’elle! Elle
rayonne! Elle mérite tellement cette victoire!
Dom, de son côté, n’a pas eu autant de
chance…même s'il est tout de même sorti premier de son pool et a affronté le combattant polonais en quart de finale, combat qu'il a finalement perdu. Il s’est bien
débrouillé pour une première participation au tournoi mondial. Comme c’est son
anniversaire aujourd’hui, il aurait bien aimé s’offrir le cadeau d’une
médaille, mais ça sera peut-être pour une prochaine fois. Cependant, son équipe
ne l’a pas oublié, et veut lui offrir un gâteau dans la salle du Centre. Quand
je croise enfin Benoit entre deux tâches organisationnelles, je lui en fait
part et il me répond qu’il aimerait bien être là et que si je pouvais demander
aux autres de l’attendre juste un p’tit peu, une grosse demi-heure tout au
plus.
Quand j’entre dans la salle, je passe le
mot discrètement, je suis un peu surprise de constater que si quelques-uns sont
compréhensifs, d’autres me regardent comme si je leur demandais une faveur intenable.
Encore une fois, ça me heurte, pour certains, Benoit n’est pas des leurs, il ne
fait pas partie de l’équipe parce qu’il met son énergie sur l’IMCF et non sur l’équipe.
Je me demande si un jour on comprendra que Ben est, depuis l’an dernier, l’un
des moteurs principaux de l’événement pour lequel ils sont tous venus. Quand il
arrive tout essoufflé, le souper d’anniversaire est déjà pas mal commencé et
comme il s’apprête à manger les quelques trucs sans gluten qu’on a pu trouver
(canne de thon, galettes de riz soufflé, du fromage et des crudités) à ma
grande surprise, Bear se lève et tient à remercier le travail que Benoit accomplie,
c’est-à-dire le tournoi. Je vois bien que mon homme est touché et un peu
inconfortable, il n’a pas l’habitude qu’on reconnaisse devant tout le monde ses
bons coups, surtout pas venant de sa gang du Québec. J’essaie de ne pas m’attarder
sur les visages fermés pendant l’élocution de Bear pour me réjouir avec les
autres qui approuvent, j’envoie mon plus beau sourire à notre orateur et tiens
la main de mon amoureux pris par l’émotion.
Évidemment on souligne la belle victoire
de notre Valkyrie québécoise, première journée et déjà une médaille d’or dans l’Ost du Québec. Solide
et fonceuse, notre guerrière se fait remarquer depuis l’an dernier, les
combattantes des autres pays commencent à la redouter, elle est très forte et
quand elle entre en lice, en équipe, elle fonce sans hésiter. Quand on suit de
près les combattant(e)s comme je le fais depuis cinq ans, on arrive à deviner ce
qui se passe sous l’armure, on arrive à saisir les émotions, la peur, la colère,
la joie et quand je vois Cloé s’avancer, je la sens impitoyable pour ses adversaires.
Vers la fin du souper, le groupe se lève
pour « donner la bascule » à Dom, comme celui-ci est très grand et corpulent,
ça prend plusieurs paires de bras pour arriver à le hisser plus d’une vingtaine
de fois dans les airs. La bascule, ça faisait longtemps que j’avais vu ça! Ce
rituel est encore bien vivant à ce que je vois. Je regarde autour de moi et je
vois le visage amusé et étonné de plusieurs, ils semblent un peu surpris de
notre façon de souligner l’anniversaire de quelqu’un. Tiens j’aimerais bien
questionner à ce sujet, ces Danois, Français, Néo-Zélandais, etc. Font-ils
quelque chose de semblable chez-eux pour souligner les années de celui ou celle
que l’on célèbre? Au Québec ça se faisait bien avant ma naissance, mais il
semble que c’était beaucoup plus désagréable que la version pratiquée aujourd’hui,
celle que moi j’ai toujours connu, où le fêté s’en sort indemne. Disons qu’auparavant
il existait toutes sortes de combinaisons destinées à faire un peu souffrir ou
humilier l’élu. Rien de grave mais tout de même, un assez mauvais moment à
passer pour tenter de se sauver ou se cacher.
Ça ne m’est jamais venu à l’esprit de le
faire à mes enfants (évidemment la version « soft » lors de leur anniversaire,
pas que j’étais contre, mais ça ne m’est jamais venu à l’esprit, un truc oublié
avec une partie du patrimoine. Déjà dans un appartement bondé de visites, de
tout-petits enfants et un gros chien, c’est un peu hasardeux, voire dangereux. De
revoir ça aujourd’hui, m’indique que c’est encore bien vivant et quelque part
au fond de moi, ça me fait plaisir.
La soirée se poursuit en bavardage et
quand je regarde à l’extérieur, je suis troublée par toute cette clarté de fin
d’après-midi alors qu’il est 21:30 heures, j’ignore pourquoi exactement, mais
je m’étais imaginée que notre séjour au Danemark serait nuageux, humide et
froid alors que jusqu’à maintenant c’est tout le contraire, c’est une
température idéale estivale. Et si on se fie à Météomédia, ça va être ainsi le reste de la semaine. Le problème
avec des journées aussi longues d’ensoleillement c’est qu’on ne ressent pas le
besoin d’aller se coucher, ce qui fait que lorsqu’on finit par y aller, il est
déjà très tard. Quand j’en fais la remarque à Ben, il me répond avec un
haussement d’épaule : « Meh, dormir c’est pour les faibles! ».
Cloé perd son premier combat, faut dire
qu’elle se bat contre l’Ukrainienne qui est très forte, en fait l’équipe au
complet l’est. Auparavant, nous n’avions que deux ou trois duellistes
ukrainiens, le reste de l’équipe participait plutôt à l’autre tournoi, plus
accessible pour eux. Cette année ils ont réussi à obtenir une subvention de
leur gouvernement qui leur permettra d’y participer, en échange de lettres et
d’explications produites par Benoit et Hubert. Ceux-ci, sont particulièrement
excités car l’équipe ukrainienne c’est une équipe très forte, la plus forte
avec celle des Russes à Botn, et pour les combattant(e)s qui font les deux
compétitions, c’est un nouveau challenge de les affronter dans un tournoi IMCF
avec les règles de l’IMCF où il n’y a pas d’argent en jeu.