Vendredi matin, ciel toujours aussi
radieux, y a du monde partout! Dans le stationnement aménagé pour nos tentes,
tout le monde est occupé à se préparer soit pour aller aux douches, soit pour
aller déjeuner ou soit pour descendre aux campements et commencer cette
deuxième journée de tournoi. Déjà, plusieurs dizaines de spectateurs entrent
par la porte du musée, afin de payer leur billet pour ensuite traverser de l’autre
côté, dans une autre époque, c’est-à-dire dans le coin des marchands qui
précède le chemin pour se rendre aux estrades. Le musée est un peu notre porte
de Narnia.
Aujourd’hui nous aurons la catégorie en
épée longue et nos duellistes sont Béné et Bear (Alexander) qui fait son
premier tournoi, tout comme Dom hier et Éli notre duelliste dans la catégorie
épée et bouclier qui aura lieu demain. Cette année, nous avons notre amie Lara
qui concourra elle aussi en épée longue, sans oublier Julie qui est avec les
Belges et que l’on côtoie depuis le Portugal. Béné va d’ailleurs combattre
contre celle-ci ce matin. À force de participer aux tournois annuels IMCF ainsi
que ceux qui commencent à essaimer un peu partout sur la planète, nous
finissons par connaître pas mal de concurrents dans les autres équipes. Je me
sens un peu coupable de prendre parti pris en encourageant un(e) contre un(e)
autre mais les combattant(e)s arrivent à composer avec le fait qu’ils doivent
se battre contre des ami(e)s. Je l’ai dit déjà et je le constate encore
aujourd’hui, je n’ai jamais vu autant de camaraderie au sein d’un sport de compétition.
Dans la lice, une accolade avant et après le combat et la plupart du temps elle
semble vraiment sincère, aussi, les uns n’hésitent pas à aider les autres à se
relever quand tout est fini. Ce que le public ne voit pas aussi, c’est
l’entraide dont font preuve les concurrents…entre eux, comme par exemple, des
prêts d’armes ou d’armures ou des conseils à propos de techniques.
Durant les combats, je vais rejoindre Ben
et Dave dans la tour, étant incapable de rester plantée au soleil. Il y a très
peu d’ombre, le « peu » étant réservé aux combattants et aux arbitres qui ne
peuvent pas quitter le terrain. J’apporte des bouteilles d’eau et de cidre à
nos commentateurs, je reste un peu avec eux, c’est le meilleur endroit pour
bien voir sans brûler grâce à la toile qui sert de toit au-dessus de nos têtes.
En bas, Béné a gagné son combat contre Julie alors que Bear a gagné le sien
contre le Suédois, nous suivons aussi de près Lara qui vient de perdre son
premier combat contre l’Ukrainienne, tout comme Cloé hier. Cependant, elle se
bat admirablement bien, elle bouge beaucoup, avec grâce, on dirait presqu’un
ballet. Que de progrès depuis le dernier tournoi en Irlande! Moi et Ben sommes
convaincus qu’elle va se classer pour ce tournoi.
Lara à droite |
Nous sommes surpris de voir les estrades
pleines à craquer et autant de spectateurs autour de la lice en avant-midi un
jour de semaine. Nous avons constaté hier que c’est notre premier tournoi où
les gens restent pour voir les combats au complet et attendent aux pauses pour
aller voir les marchands. C’est comme si, auparavant nous étions une curiosité
intéressante alors que maintenant nous suscitons un intérêt plus sportif, comme
pour le baseball ou le soccer. C’est bien, c’est ce que nous voulons.
En bas dans la lice, Béné a perdu contre la Néo-Zélandaise, Bear qui affrontait le Néo-Zélandais a gagné et Lara vient de gagner contre la Danoise. Par chance, la plupart des duellistes ont leur équipe derrière eux, que ce soit pour les aider à se préparer, leur donner de l’eau, pour les féliciter et surtout pour les supporter dans la défaite. Je devine la déception de Béné et heureusement la majorité de l’équipe du Québec est là pour elle et Bear. Je vois aussi que le groupe d’Irlandais est là, en fait, ils sont tous là pour féliciter chaleureusement Lara. C’est la première fois qu’ils ont une femme dans l’équipe, en fait ils ont aussi maintenant Caroline.
Tous les combattant(e)s devraient être ainsi entourés quand vient le temps d’aller se battre. Benoit beaucoup plus expérimenté que moi sur le sujet, me faisait observer que tout sport de combat, ironiquement te rend vulnérable d’une certaine façon. Parce que taper sur quelqu’un et te faire taper dessus, ce n’est pas naturel, ça peut te rendre émotif, surtout quand tu as perdu, parce qu’il y a aussi la honte que la défaite engendre. Bien sûr chacun gère ça à des degrés différents, mais même si je ne pratique pas ce sport je suis en mesure de comprendre parfaitement le phénomène. Il m’est arrivée par le passé où j’ai eu à me battre pour vrai et bien que j’aie vaincu mon adversaire, je me suis effondrée en larmes juste après, sans être capable d’arrêter de trembler. Bien sûr, ces combats-ci ne sont pas générés par des querelles, mais j’imagine qu’une certaine dose d’agressivité doit être enclenchée pour se battre efficacement. Si cette violence est artificielle au départ, je crois bien que la partie émotionnelle du cerveau peut arriver à ne plus voir la différence.
Quand le soleil est à son zénith, Béné a gagné contre l’Autrichienne, mais a perdu contre l’Allemande et est tristement éliminée; Bear a gagné contre l’Estonien et est éliminé en quart de finale par l’Américain; Lara qui n’a fait que gagner ses combats après sa défaite contre l’Ukrainienne, se retrouve en finale contre la Polonaise contre laquelle elle gagne puis de nouveau en face de l’Ukrainienne pour la médaille d’or. Cette fois, elle est bien déterminée à ne pas se laisser impressionner par son adversaire, nous suivons avec beaucoup d’attention son dernier combat. Elle gagne magnifiquement, l’or!!
Je descends de la tour pour aller la féliciter, elle rayonne! Peter, son amoureux, concoure lui aussi dans la même catégorie et remporte à l’instant la médaille de bronze. J’en profite pour le féliciter aussi puis je vais rejoindre mon homme et nous allons diner à la petite cantine juste dernière nous. La plupart des équipes dînent en haut au Centre pour le forfait repas ou dans le campement des marchands, ce qui fait que ce sont tous des spectateurs qui nous entourent, amplifiant l’effet que nous sommes seuls. Nous avons besoin de ces petits moments où on se retrouve à discuter entre nous et c’est très satisfaisant. Nous nous contentons de frites rémoulade, la rémoulade c’est une mayo très jaune (à cause de la présence de moutarde) avec des herbes, des câpres et des cornichons coupés très fin. C’est très bon!
Les combats en
équipe 5 v/s 5 commencent en après-midi et se poursuivront demain, comme c’est
la plus grosse catégorie, nous n’avons pas le choix de les faire sur deux
journées. Demain ce sera une très grosse journée : nos deux duellistes en
épée et bouclier, l’équipe de gars ET l’équipe de filles, toutefois, les
finales auront lieu dimanche. Cet après-midi il y aura aussi le 10 v/s 10 et le
16 v/s 16 et comme de coutume le All v/s All en fin de journée, hors catégorie.
C’est une catégorie qui est toujours très populaire chez les combattants, mais
il arrive que l’horaire soit trop serré pour le permettre, et chaque fois les
arbitres doivent expliquer que nos hôtes ne peuvent permettre ce combat après la
fermeture en fin de journée du musée ou du château pour des questions d’assurances
dans le cas où y aurait un accident.
Après notre
lunch, nous allons voir à la tour si tout se passe bien et apporter de l’eau à
Dave et Adam qui a pris le relais de Ben, nous traversons la foule, il y a
vraiment beaucoup de monde. Qu’est-ce que ce sera demain et dimanche? Surtout
si la météo ne change pas! Nous allons ensuite au bureau aménagé en quartier
général, Benoit attend des nouvelles d’Écosse, il doit obtenir la confirmation
du château que notre tournoi aura lieu à Scone Palace pour pouvoir ensuite le révéler dimanche. À ce moment-là, l’annonce sera faite lors
de la cérémonie et par le fait même via le streaming sur Internet, suivi par des
dizaines de milliers d’internautes. Il doit aussi recevoir l’image, choisie par
l’administration du château, qui servira de publicité pour le tournoi 2018,
évidemment il devra trouver une personne pouvant produire un poster en quelques
heures qui sera présenté sur l’écran géant dans la lice.
Encore rien! Il
réécrit de nouveau, expliquant l’urgence de la situation : La cérémonie de
clôture est le meilleur moment pour passer cette publicité parce que c’est là
où nous rejoindrons le maximum de spectateurs. Les combattant(e)s s’attendent
aussi à connaître le lieu maintenant que ça a été fait l'an dernier. Ça n’a rien d’un caprice, car en sachant un an d’avance le lieu du
tournoi, ça leur permet de planifier leurs congés, leur billet d’avion, leur
hôtel, etc. Le Présidium le comprend bien et veut faire en sorte que ça soit maintenant
le standard. Ben est stressé, parce que ce tournoi en Écosse repose entièrement
sur ses épaules. C’est lui qui correspond depuis un an avec William et l’administration
du château et le présidium lui a laissé ça entre les mains.
Nous passons
ensuite au campement car il doit faire de petites réparations sur son armure
puisqu’il se bat demain, nous y retrouvons quelques comparses Belges et
Québécois qui discutent, vérifient leurs pièces et leurs armes pour demain.
Certains doivent faire modifier leurs armes qui n’ont pas passées à l’homologation,
parfois trop pointue, trop lourde ou trop légère. C’est un sport qui demande de
l’entretien en permanence, en particulier pour les armures, tous les combattant(e)s
rencontrent les mêmes difficultés et ont les mêmes besoins : Des cordons et
des pièces de cuirs, du fil ciré, des rivets, des outils aussi, « punch » à
cuir, marteau, « cutter », et du « tape » à hockey (les Québécois). Y a
toujours quelqu’un qui a, un de ces objets et qui est prêt à dépanner les
autres. On peut aussi aller voir le forgeron qui en échange de quelques euros,
peut arrondir ou raccourcir une arme.
Le « tape » à
hockey suscite beaucoup d’intéressés chez nos amis européens qui ne connaissent
pas cette petite merveille. Celle-ci a le bienfait d’être fort utile pour des
réparations temporaires mineures tout en passant les critères visuels «
historiques » contrairement au ducktape (interdit). Il peut facilement passer
pour du cuir ou du tissu noir.
Laurie qui semble faire des réparations pour un(e) combattant(e) |
En fin de journée dans notre campement |
Nous sommes une
douzaine de personnes au campement, je bavarde un peu avec Christine, je la
sens un peu triste, et je lui demande si tout va bien, elle me répond par l’affirmative.
Elle ajoute qu’elle est juste un peu stressée par son rôle de capitaine de l’Ost.
Je sais qu’il y a des tensions dans l’Ost pour différentes raisons et je ne
voudrais pas être à sa place, bien qu’en principe, elle n’a pas à gérer les
conflits personnels. Mais bon, c’est parfois difficile de ne pas en tenir
compte. Je lui offre mes oreilles si jamais elle a besoin de parler.
J’essaie de faire
un minimum de ménage sur la table, au moins pour enlever les contenants de
styromousse encore à moitié plein du lunch du forfait repas. Les Belges ne se
plaignent pas trop mais l’Ost est souvent bordélique sur leur campement, c’était
la même chose en Pologne et au Portugal. Demain ça va devenir vite épouvantable
parce que tout le monde portera son armure à un moment ou l’autre de la
journée, ce qui veut dire qu’on trouvera des gambisons en train de sécher, des armures
qui traînent par terre, de la bouffe et des outils sur la table. Faut se
prendre en main un peu.
Quand Benoit a
terminé, il met son armure avec son sac et son gambison dans la tente du Québec
et retourne au quartier général et je pars avec Andrew et Annie à l’épicerie de
Skive comme ils me l’ont offert ce matin, conscients de nos besoins et du manque
de disponibilité de Ben.
Lorsque nous
revenons, les combats sont terminés pour la journée, les voitures des
spectateurs quittent les lieux et les participants marchent en petits groupes
vers le Centre pour aller manger. Je trouve mon chum à notre tente qui met
quelques cannettes de cidre et de la bière pour moi, dans son sac à bandoulière.
Je range la bouffe prévue pour demain et sors les viandes froides, fromage, les
chips pour ce soir. Je vais me chercher une assiette à la cantine avec plein de
crudités, d’œufs cuits durs et de fruits qu’on se partagera moi et lui.
Nous rejoignons
les Québécois et les Belges dans la grande salle en bas. Christine m’informe qu’elle
a une grosse écharde dans la main, je lui offre de m’en occuper, j’ai l’habitude.
Au bout de 5 minutes nous sommes encerclées par des curieux qui nous observent,
questionnent ou font des commentaires. Je prends conscience de notre situation
peu commune : Je suis encore en robe médiévale, en train d’essayer d’enlever
une écharde à mon amie, dans un Centre sportif dans la campagne reculée du
Danemark en buvant une bière avec des ami(e)s belges. Notre vie n’est vraiment
pas banale!
J'ai même pas réussi finalement. |