« Bon, on a deux choix! » me dit Benoit «
Soit on prend le vol direct à Copenhague à partir de Toronto, soit on prend un
vol vers Paris à partir de Montréal, puis on prend un vol au prix régulier pour
l’aéroport de Billund, parce qu’on n’a pas de vol direct Montréal-Billund. »
On est enfin en train d’organiser NOTRE
voyage, depuis des semaines qu’il planche sur l’IMCF, qu’il répond à toutes les
questions provenant des équipes partout sur la planète, qui vivent sur un autre
fuseau horaire et qui veulent une réponse…hier. Par chance, Julia s’occupe des
marchands et le Danois Magnus est sur le terrain et court déjà pour que tout
soit prêt. N’empêche que Ben est toujours sur 56 dossiers en même temps, dont
les réservations pour les tentes et les forfaits repas pour les arbitres et
pour les équipes qui viennent de trop loin pour transporter leur stock de
camping et qui veulent dormir sur place. L’Ost en fait partie, ainsi que les
Japonais, les Néo-Zélandais et les Américains.
La
plupart des participants débarquera à Billund qui est beaucoup plus près de
Spottrup, là où notre tournoi IMCF 2017 a lieu. Notre priorité à nous, est de
sauver des sous, il nous faut donc regarder les prix des vols
Copenhague-Billund, Montréal-Paris, Paris-Billund, les trains, les autobus, les
locations de voiture, etc. Sur Google Map on nous dit qu’il faut compter 1:30,
1:45 hrs pour nous rendre à notre destination à partir de Billund, alors que ça
en prend 4 à partir de Copenhague.
Nous passons quelques jours à planifier,
comparer, chercher jusqu’à ce que nous tombions d’accord : On passe par
Toronto pour prendre le vol direct pour Copenhague et nous louons une voiture
pour une semaine, et nous roulerons à notre rythme. Nous la réservons tout de
suite, elle nous revient à 160$ (une aubaine!) c’est sensiblement le même prix
que si nous prenions le train ou l’autobus allers-retours. Mais en plus nous
pourrons nous véhiculer toute la semaine, faut juste faire attention car
l’essence est dispendieuse. Quatre heures de route c’est vraiment pas
grand-chose pour nous, toutefois, nous rendre du point A au point B peut être
un challenge, à cause d’un élément primordial, on ne lit pas, on ne parle pas
et ne comprenons pas le danois. Le GPS qu’on nous proposait coûte pratiquement le prix de la location de la voiture, donc j’ai proposé à Ben,
qu’on imprime le trajet aller et retour sur Google Map et je serai comme
d’habitude son co-pilote. Et puis après tout, on peut toujours demander notre
chemin, y paraîtrait que l’anglais est couramment parlé.
La veille de notre départ nous envoyons un
message sur notre réseau facebook, pour savoir si quelqu’un pourrait venir nous
reconduire à l’aéroport, évidemment sur promesse de payer l’essence. Ma mère
m’a toujours dit :
« Quand on demande rien, on obtient rien,
donc n’hésite jamais à demander tu pourrais être surprise de ce que tu
recevras. »
Et je dois dire que ça m’a souvent bien
servi, mais sur ce coup-là, je suis plus ou moins confiante, nous sommes très
dernière minute (comme toujours) et c’est un dimanche en fin d’avant-midi. Je
reste un peu pessimiste là-dessus, on pognera un taxi, ça va nous coûter plus
cher mais avons-nous vraiment le choix? Hors de question de prendre le
transport en commun car nous sommes trop chargés comme d’habitude.
Dimanche matin, alors qu’on termine de
paqueter notre bouffe de survie dans nos valises et que je finis notre lunch,
Line, une amie qui n’habite même pas sur l’île et qu’on n’a pas vu depuis
longtemps, me demande si on a toujours besoin d’un lift aujourd’hui. Wow! Deux
heures plus tard, elle est chez-nous! Oh qu’on est contents! D’abord pour
l’immense service qu’elle nous rend, alors qu’elle aurait très bien pu rester
chez-elle tranquille et profiter de son dimanche de congé, ensuite parce que ça
fait du bien de la voir, ça faisait si longtemps! On en profite pour papoter
sur la route, puis elle nous laisse au débarcadère de l’aéroport, refusant net
qu’on lui rembourse son essence. Ah ma mère et ses dictons tellement vrais!
Une fois à l’intérieur on retrouve Andrew
et sa copine Annie, nous prenons les mêmes vols et une fois à Copenhague, nous
nous séparons. Ils continueront en train tandis que nous prendrons l’armure
d’Andrew et quitterons en voiture. Cette fois-ci, tout se déroule sans heurt et
sans problème pour notre vol pour Toronto, puis quelques heures plus tard pour
le Danemark.
Lorsque nous descendons d’avion, ça
contraste avec notre arrivée à Buenos Aires deux mois plus tôt. D’abord nous
sommes reposés et on ne crève pas de chaleur et tout est beaucoup plus calme,
les Danois étant pas mal moins sanguins que les Argentins. De l’autre côté de
la sécurité après avoir récupéré nos bagages, c’est calme et…blond. Bien sûr,
il y a des touristes venus d’ailleurs, mais sur le fond on capte bien l’ADN
viking. Le mélange nordique et germanique typique que nous imaginons volontiers
parcourir, il y a mille ans, les mers à la recherche de terres et de trésors.
C’est la petite sirène d’Hans Christian
Andersen qui nous accueille, assise sagement et enviant secrètement, peut-être,
tous ces voyageurs bipèdes qui circulent autour ou qui s’arrêtent un instant
pour la prendre en photo. Son créateur est l’un de mes conteurs favoris, j’ai
lu la plupart de ses œuvres principales et je dois dire que parmi les grands
auteurs du 19ième siècle, ce sont ses contes de fées qui ont le plus
marqués mon enfance : La petite
sirène, La petite fille aux
allumettes, Le vilain petit canard,
Les habits neufs de l’empereur, La princesse au petit pois, La petite poucette, La bergère et le
ramoneur…Enfin
Pour nous rendre à la compagnie de
location de voiture, c’est super complexe, nous devons prendre une navette par
l’extérieur ou nous rendre dans une autre aile de l’aéroport et nous ne pouvons
pas traverser avec les chariots, et il hors de question qu’on trimbale tout
notre matériel à bras. Finalement, Ben part avec la navette pour aller chercher
notre voiture et viendra me chercher à la porte. Sauf que, c’est pas bien
clair, nous n’apercevons aucun panneau ou indication de stationnement
quelconque et de l’endroit où nous avons laissé Benoit, c’est directement la
rue, pas de zone d’accotement. Nous ne pouvons pas nous déplacer, sinon Ben ne
nous retrouvera jamais. On n’a aucune idée où il pourra se stationner pour me
prendre avec les bagages, on s’entend que si je peux m’engouffrer en 3 secondes
au milieu du trafic, nous avons deux armures à entrer dans la valises plus nos
autres bagages.
Pour aider c’est l’heure de pointe. Comme
on ignore quelle voiture nous aurons, on scrute attentivement toutes les
voitures qui viennent dans notre direction, jusqu’à ce que nous le voyions nous
saluer. Nous apportons rapidement tous les bagages qui iront dans la voiture,
Ben sort, les automobilistes ont pas l’air très contents, à leur tête nous
devinons que ce n’est pas l’endroit pour s’arrêter et si nous ne voulons pas
avoir de problème nous devons faire vite. Les gars embarquent rapidement les
bagages et ne peuvent s’empêcher de s’extasier devant notre BMW louée au même
prix, le concessionnaire n’avait pu avoir la voiture que Ben avait demandé (moi
les chars je les repère par leur couleur pis encore…).
Bon vite vite vite faut décoller! Bye
Andrew et Annie, on se revoit à Spottrup! Là le party va commencer, je sors mes
papiers de google itinéraire.
Faut d’abord sortir du périmètre de
l’aéroport et se diriger sur la bonne route, ce qui n’est pas si simple puisque
nous n’avons pu nous stationner avant et prendre nos repères et évaluer le plan
de match. Mes feuilles en main, j’essaie de ne pas me laisser impressionner par
les noms qui à première vue se ressemble tous, donc difficile à lire avant
d’être passée devant le panneau. Surtout rester calme! Se tromper de sortie
dans ce genre d’endroit, c’est toujours un peu paniquant car tout se ressemble
contrairement aux routes secondaires et rues de villes et villages.
Benoit n’a pu regarder notre itinéraire
dans le stationnement du concessionnaire avant de venir me prendre avec les
bagages à la porte, car j’avais notre itinéraire dans ma sacoche. Il ne peut
maintenant regarder avec moi non plus, entièrement occupé à conduire une
voiture louée, dans un autre pays, dans une autre langue, notre réussite à
sortir d’ici, repose sur moi.
En me fiant en partie à mon instinct, on
finit par se retrouver sur la E20 et par chance nous resterons dessus pour un
bon 200 km, on peut enfin souffler! Contrairement à ce que je m’attendais (ne
me demandez pas pourquoi) il fait un temps magnifiquement ensoleillé, et c’est
super confortable. On ouvre la radio, comme nous le faisons régulièrement en
voyage, on prend un bain médiatique, soit la radio, soit la télé ou les deux,
nous écoutons la langue, la musique, les publicités, etc. À mes oreilles, le
danois ressemble à de l’allemand mais en plus doux. Nous nous amusons, lors des
pauses publicitaires, à essayer de deviner de quoi il s’agit.
On s’extasie devant le paysage de la mer
qui s’étend à perte de vue à notre gauche et à notre droite lorsque nous
quittons le Seeland (où est la capitale : Copenhague) pour traverser sur
l’île de Funen pour nous rendre dans le Jutland, le nord du Jutland. Toute
cette eau autour c’est vertigineux, ça me rappelle les Îles-de-la-Madeleine
sauf pour les cygnes sauvages qu’on voit un peu partout ici. J’aime observer la
faune ou les panneaux de traverses d’animaux, sur toutes les routes où nous
voyageons, les cygnes, c’est une Première.
Nous grignotons nos collations, évitant de
manger dans les restaurants des aires de repos qui servent surtout des burgers
et de la pizza, trop chers pour nos moyens. Donc quand on s’y arrête c’est pour
les pauses pipis et l’achat de bouteilles d’eau ou de café. On découvre aussi
qu’il y a des douches à côté des toilettes, ce qui est vraiment pratique.
En fin d’après-midi, nous arrivons à
Spottrup, en fait c’est le nom du château qui est situé à une dizaine de
minutes de la petite ville de Skive, c’est en pleine campagne. Nous garons la
voiture dans le stationnement du Centre sportif rattaché au musée et au château
juste un peu plus loin. Une centaine d’unités sont déjà là pour nous recevoir
et Magnus est sur place pour veiller à ce que tout soit installé correctement,
son grand danois qui le suit comme son ombre. Évidemment j’essaie de l’amadouer
comme je le fais toujours avec les gros chiens pendant que Ben discute avec
Magnus concernant le travail qui reste encore à faire avant le début du
tournoi, jeudi. Je suis toujours fascinée par sa voix profonde, ça m’avait
frappé l’an dernier au Portugal. Le physique imposant, l’attitude calme et une
voix aussi grave, il personnifierait bien Thor ou Saint-Nicolas! Bon bon je
sais je sais, mon imagination qui s’emballe.
Il nous montre le coin des Québécois,
il y a un drapeau du Québec sur une des tentes, y semblerait que c’est notre
quartier, nous serons vingt Québécois cette année et nous dormons tous dans ces
tentes. C’est la première fois que notre délégation est aussi grosse et c’est
la première fois aussi que nous dormons sur le terrain. Chacune de ces unités
accueille une à deux personnes, mais à deux ça ne laisse pas beaucoup de place
pour les bagages, disons qu’on va laisser l’armure dans la valise de l’auto en
attendant le tournoi.
Régis est déjà sur place avec sa copine
Marie-Claude, ils sont partis une semaine avant pour visiter le Danemark, c’est
eux qui ont revendiqué et réservé un coin pour les Québécois. Ils ont eu le
choix, il n’y a pas grand monde encore, la plupart des gens arrivent demain et
mercredi. Nous choisissons une tente et y mettons nos sleeping, oreillers et
bagages et suivons Magnus qui nous invite à sa tente dans le campement décorum
de son groupe de reconstitution historique, il veut nous montrer les médailles
et nous donner les bracelets et les jetons de notre équipe pour le forfait
repas.
Sur le chemin, nous traversons le hall du
musée et ressortons de l’autre côté, dans le campement aménagé pour les
marchands qui font aussi de la reconstitution historique. Puis longeons le
château et la lice pour nous rendre chez les Danois. Sur place, tout le monde
est occupé à installer adéquatement les tentes, leur mobilier ou à préparer
le souper, pour ces gens, vivre comme au Moyen âge semble être aussi banal qu’à
la maison au 21ième siècle. La cuisson se fait sur un feu de bois,
avec des gros chaudrons de fontes, des ustensiles de bois ou de fer et les
meubles sont en bois. Quand je regarde le sommier et la décoration de la tente
de Magnus et sa copine, je les envie, il y a tant d’espace et les draperies et
coussins moelleux réchaufferont suffisamment le couple cette nuit j’en suis
certaine.
Quand nous retournons là-haut à nos tentes
modernes et pourtant sûrement moins confortables que ce que nous venons de
visiter, nous retrouvons en plus de Régis et Marie-Claude, Igor, Pat et Élie
qui viennent d’arriver d’Allemagne, Benoit donne les bracelets et les jetons à
Régis (représentant du Québec) pour qu’il les distribue, Benoit se doute bien
qu’il risque d’être vraiment très occupé toute la semaine à partir de demain
matin. Nous allons faire un tour dans le centre sportif, nous voulons voir
comment sont organisées les installations sanitaires et la petite salle à
manger laissant les autres s’installer à leur tour dans les tentes.
Avant de partir du Québec, plusieurs
d’entre nous étions plus ou moins à l’aise à l’idée de ne pas avoir de douche
privée. Comme c’était mon cinquième tournoi international, (le premier avait été avec
Battle Of the nation) je savais que sur le terrain c’était toujours un peu
rudimentaire, des douches portables louées, où étaient entassées plusieurs personnes
en même temps. En Espagne il n’y avait pas vraiment de division hommes et
femmes. Comme c’était notre premier camping en tournoi, j’ai eu soudainement
des doutes et j’avais demandé à Benoit de s’informer. J’étais certaine que la
plupart des Québécois ne seraient pas à l’aise avec l’idée de se laver nu en
groupe et qu’ils apprécieraient d’avoir su ce « détail » à l’avance pour
prévoir le coup, comme apporter son maillot de bain par exemple.
J’avais vu juste. Quand Benoit avait su
que ce serait des douches dans un centre sportif et que les douches comme dans
tout bon vestiaire seraient ouvertes, plusieurs avaient effectivement exprimé
leur inconfort. Je pense qu’ils ont presque tous un maillot de bain dans leurs
bagages, moi y compris.
Toutefois, en visitant les lieux je
remarque qu’il y a plus d’un endroit disponible où l’on peut prendre notre
douche dont une place au fond d’un couloir qui semble être une douche
privée avec une porte qui se barre de l’intérieur. Je me promets d’y venir ce
soir tard ou demain matin tôt. Quand nous montons à l’étage pour continuer
notre visite, nous croisons Andrew et Annie qui sont arrivés en bus, de Skive
et ont mis leurs bagages dans la tente à côté de la nôtre.
Les forfaits repas ne commencent qu’à
partir de demain et tout le monde a très faim, nous décidons donc d’aller tous
manger ensemble à Skive. En chemin, nous observons qu’il fait encore très clair
pour l’heure qu’il est, à 19:30 hres chez-nous, il fait noir. Ça nous laisse
plus de temps pour voir le paysage qui borde les petites routes de campagne,
nous sommes passablement loin des grandes villes et on constate à quel point
quand nous entrons dans Skive. Mais ce qui nous frappe le plus c’est l’absence
de gens, peu de voiture, personne ou presque sur les trottoirs, tout est bien
tranquille et donc très peu de restaurant ouvert. Pour moi c’est toujours
surprenant, nous sommes vraiment un peuple qui aime beaucoup manger au
restaurant, et ce n’est pas juste à Montréal, j’ai grandi en campagne entre
deux villages dont un qui comptait plus d’une douzaine de restaurants en plus
des trois-quatre bars.
On finit par en trouver un, et quand le
serveur nous voit entrer il écarquille les yeux, nous sommes neuf personnes, je
pense qu’on le prend un peu par surprise, il n’y a qu’un couple assis dans un
coin. Nous lui demandons si nous pouvons y manger, il acquiesce, nous nous dépêchons
de nous asseoir avant qu’il ne change d’idée. On plonge dans notre menu, moi et
Ben avons un p’tit peu envie de brailler mais bon on garde ça entre nous, juste notre assiette principale avec une bière et un verre de vin va
nous coûter aux alentours de 80$. Oui Benoit prend un steak, mais je prends
tout de même juste une assiette de mini burgers avec frites. On se comprend
sans même se parler : on évite les restaurants cette semaine et on va à l’épicerie!
Une couronne danoise équivaut à environ 0,21 cent canadien |
Le souper s’anime autour de notre grande
table à mesure que les verres se vident, mais nous ne voulons pas trop nous
attarder, donc nous payons et quittons pour retourner à Spottrup. La pénombre
est tombée mais pas complètement, il approche 22:00 hres et on voit encore des
trous de clarté dans le ciel.
Sur place, nous croisons Julia qui nous
invite à prendre le thé dans sa tente médiévale, elle a un petit poêle au gaz portable
pour faire chauffer de l’eau. Elle est encore seule sur son campement qui n’est
pas du même côté que celui de Magnus, demain il y aura d’autres marchands qui
viendront s’ajouter. Mais ce soir, avec le vent, isolée des bâtiments, sa tente
semble tragiquement seule, nous nous dépêchons de nous y engouffrer. Elle
allume des chandelles et son p’tit poêle et nous prépare une bonne tasse de thé
pour finir notre journée.