mardi 29 novembre 2016

Tournoi hivernal 2013 : premier contact


Nous venons assister au tournoi hivernal à Montréal, dans un sous-sol d’église. Benoit arbitre les combats, moi je m’offre pour aider en quoi que ce soit, faut bien que je commence quelque part. On me place à l’entrée pour accueillir les combattants qui viennent s’inscrire. J’ai une douzaine de Québécois, une bonne quinzaine d’Américains et cinq ou six Ontariens (tous ukrainiens ou russes d’origine), et bien que mon anglais soit défaillant et rouillé je peux déjà constater que si les combattants ontariens n’ont pas le sourire facile avec moi et ma langue française, les combattants américains eux sont détendus et riants, me pardonnant la maladresse de mon anglais chaotique, s’essayant même un peu dans la langue de Molière. On nous a dit que l’événement devait être costumé, ce qui signifie que tous les bénévoles et combattants doivent porter leurs vêtements historiques (13-14ème siècle). Pour la plupart de ces gens qui ont fait de la reconstitution historique ou des Grandeur nature (comme moi) c’est assez simple, soit on en a un qui traîne quelque part dans nos malles soit on connaît quelqu’un de ce milieu qui peut nous dépanner.

Le tournoi durera deux jours, et le samedi soir un banquet est prévu, donc quand les participants sont tous inscrits et qu’ils commencent à sortir les armures dans une pièce adjacente et à s’installer autour de la lice, moi je vais donner un coup de main dans la petite cuisinette derrière le comptoir où on vend chips, breuvages, etc. Je peux donc observer, les allées et venues autour de la lice et des quelques spectateurs qui tranquillement prennent place sur les chaises. Je me dis en mon for intérieur qu’il y aura certainement une foule d’ici quelques heures, à ce que j’ai vu sur Youtube c’est très spectaculaire !

Chaque équipe a son coin où s’entassent les pièces d’armure, celles qui ne seront mis qu’au moment du combat, c’est-à-dire, les casques, les mitons (gants), les boucliers pour ceux qui en utilisent et les armes bien sûr. Certains en laissent un peu plus, ne revêtant que leur gambison et leur armure de jambes. Je prends un peu le temps de me promener par-là, je discute avec quelques combattants québécois et leur explique la raison de ma présence, quelque uns sont très intéressés, d’autres semblent plus ou moins suspicieux. Je ne suis pas vraiment surprise, j’ai eu un peu les mêmes réactions quand j’ai commencé mon étude sur Bicolline. Y a toujours cette vieille peur d’être tournés au ridicule, de ne pas être pris au sérieux, de toujours avoir à se justifier. Je me concentre vers ceux qui sont plus confiant et je me dis qu’un moment donné la communication sera plus facile. J’essaie de me rendre utile auprès d’eux et rapidement je me retrouve à aller chercher des bouteilles d’eau, à chercher des lacets de cuir, à passer d’un à l’autre pour un poinçon à cuir, une paire de ciseau, du gros fil ciré et une aiguille à cuir. Parce qu’il y a toujours des bris sur un gambison ou une armure, ce qui fait qu’il y a toujours beaucoup à faire, avant et après les combats.

De temps en temps, je m’esquive pour aller faire un coucou à mon amoureux d’arbitre, en fait aujourd’hui il s’occupe de vérifier si les armes et armures sont réglementaires et du chronomètre pour les combats en duel. Je le sens fébrile, il a hâte lui aussi de pouvoir avoir une armure et l’enfiler à son tour, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.

Les combats ont commencé, c’est intense! Mais il n’y a pas plus qu’une vingtaine de personnes dans la salle, visiblement impressionnés par le fracas produit. J’essaie d’avoir des yeux partout, ne rien manquer : les combattants en action, la réaction des combattants à l’extérieur de la lice, le travail des arbitres, le public, vérifier qu’il n’y a pas de bambins oubliés qui tournent autour trop près de l’action. Certains des combattants ont amené avec eux leur femme ou copine, y en a une, artisane, qui tient un p’tit kiosque de chapeaux. Les femmes qui suivent leur conjoint dans cette activité sont souvent, comme moi, un peu, beaucoup elles aussi des passionnées à leur façon, cousant les vêtements, peignant des boucliers et armoiries, travaillant le cuir, l’enluminure, la photo et sont d’une aide inestimable pour leur chevalier. En effet, j’ai pu observer et je le constaterai plus tard à quel point celles-ci remplacent l’écuyer aide indispensable au chevalier au Moyen âge, même si bien sûr dans ce cas-ci, il n’y a pas de cheval.

Pour l’heure, il y a beaucoup de combattants célibataires ou sans leur conjointe donc privé de cette précieuse aide, on reconnait ceux qui ont l’habitude de s’arranger tout seul, généralement bien organisé, toutes les pièces d’armure fonctionnelles au même endroit. Ils ont développé une méthode pour enfiler leur armure sans aide mais malgré tout il arrive qu’ils demandent un coup de main. Comme Benoit ne combat pas encore, j’en profite pour offrir mon aide aux autres, c’est pas long que je sangle des dos, des épaules, resserrent des jambières, aide à enfiler les mitons ça demande parfois pas mal plus de force que lorsque j’enfilais les mitaines de mes enfants (le mouvement est le même) mais finalement mes petites mains sont pratiques pour entrer sous le casque et attacher la sangle sous le menton. Faut surtout pas être dédaigneuse car c’est chaud et plein de sueur là-dedans, surtout entre deux rounds, mais dans ce sport, un casque bien attaché sur la tête te maintient en vie. Je trouve que c’est un moment un peu intime, pas érotique dans le sens du terme, mais plutôt du fait que d’une façon tu tiens la vie de cette personne entre tes mains, peut-être est-ce une certaine vulnérabilité? En glissant mes mains sous le casque, j’entre un peu dans sa bulle, je peux presque ressentir les émotions, mélange de peur, de fébrilité du combat et de testostérones sur le bord d’exploser, et je sécurise sa vie en attachant bien son casque, dernière pièce d’armure avant d’entrer en lice. J’ai peut-être trop d’imagination…

Je me tiens prête à offrir de l’eau dès que les gars reviennent, surtout ceux qui ont une visière et ne font que la soulever préférant restés prêt à repartir. Je regarde ces corps assis par terre, adossés au mur de ciment et je les trouve fous mais beaux dans cette folie, une passion ça ne s’explique pas, ça se vit!

Et nous en avons un bel exemple dans la lice en ce moment, il y a un combattant superbe dans la lice qui se bat en duel, il a une armure magnifique et un casque splendide serti d’une grande plume, c’est un Américain qui doit bien avoir 60 ans passés et je crois qu’il a fait de la reconstitution historique une bonne partie de sa vie. Entre les rounds, il ne s’assoit pas, il reste debout, garde son casque fermé, le dos appuyé sur la rampe de la lice, les deux mains sur le pommeau de son épée appuyée la pointe par terre, une pose théâtrale pleine d’assurance tactique psychologique volontaire ou pas pour décourager son adversaire. Mais c’est l’avantage d’être caché sous l’armure, un des organisateurs racontait plus tard sa surprise lorsqu’il s’approcha pour lui offrir de l’eau et qu’il l’entendait souffler comme un bœuf. Nous avons su après aussi, que s’il ne s’asseyait pas c’était tout simplement parce que son type d’armure ne lui permettait pas de le faire.

Après le troisième round, il perd finalement son combat mais quel panache!!

Je profite d’un p’tit moment d’accalmie pour aller à la salle de bain qui est en face de la fameuse pièce «vestiaire» OUF!! Typique d’un vestiaire masculin : Des gars en petites tenues qui blaguent, l’humidité et l’odeur piquante du mâle à qui on autorise de déployer sa «mâlitude». Ma mère appelle ça «l’odeur du travail», ici j’appelle ça «l’odeur du combat». Ça se caractérise par, outre l’odeur de sueur et de fond de sacs de hockey, par des relents métalliques et de gambisons mouillés. Tout est étendu partout pour que ça sèche un peu, car des pièces gambisonnées (matelassées si on veut) en lin et laine, c’est très épais et les pièces d’armures ça a tendance à rouiller. Donc si tu dois aller chercher dans le sac d’un gars, par exemple un outil, ou aller chercher quelque chose, comme en ce moment, dans mon sac de vêtements civils,  marcher dans la pièce devient un vrai challenge, pour les jambes et…pour le nez. Les gars, deux armoires à glace américaines, dans la pièce remarquent à peine la présence de l’intruse, puisqu’ils sont occupés à se raconter leurs 400 coups lors du dernier combat.
Discrètement, je les écoute en ressortant de la pièce. C’est la première fois que je me trouve dans un événement qui m’amène à côtoyer des Américains. D’ailleurs durant la journée plusieurs m’ont abordé en me saluant pour me dire que je ressemblais à la princesse écossaise dans le film animé «Rebelle» j’avais une robe très semblable et comme j’avais mes longs cheveux roux bouclés, c'était tout à fait involontaire de ma part mais je comprenais. N’empêche que ça fut pour moi un atout comme premier contact avec eux. Je suis fascinée par leur attitude très amicale en général, hommes comme femmes, ouverts et communicatifs. Je suis aussi surtout saisie devant leur gabarit, cela s’explique, en partie, par la présence d’anciens joueurs de football ou de rangers parmi les co-équipiers, mais en y regardant de plus près, on constate qu’ils sont dans l’ensemble, plus grand et plus costaud que les Québécois ou les Ontariens. Je me souviens d’avoir serré quelques mains et d’avoir frémis par la largeur de certaines paumes, je compatissais pour son pauvre adversaire.

J’observe aussi, comme je l’avais fait pour le Grandeur nature médiéval auparavant, qu’on y trouve une majorité de Caucasiens, parmi cette trentaine de combattants Nord-américains, un seul homme mulâtre. Y a rien à faire, même si c’est ouvert à tous, on dirait que le «médiéval» c’est une affaire qui branche les blancs surtout. Bah oui vous me direz :« Ouains mais la culture médiévale qui est véhiculée partout c’est généralement celle de l’Occident donc elle concerne les caucasiens… » Mais pour ma part j’y vois plus qu’une culture véhiculée, le sport qu’est le béhourd ne devrait pas avoir de frontière, en tout cas il me semble.
Peu à peu la salle se vide des derniers spectateurs et on commence à installer les tables pour préparer le banquet, ceux qui le peuvent retournent chez eux ou à leur chambre d’hôtel pour aller se doucher et se changer, moi et Benoit sommes déjà prêts et donnons un coup de main aux organisateurs. Nous essayons de donner une certaine ambiance, ce qui demande BEAUCOUP d’imagination quand ça a lieu dans un sous-sol d’église aux allures de gymnase. Bah en mettant des chandelles partout et en éteignant la majorité des lumières ça devrait aller. On dresse de longues tables et y dispose des chandeliers, ça ne devrait pas être si difficile d’y croire un peu.
Beaucoup de ces participants sont habitués à ces procédés «d’imaginer que nous sommes en un autre temps, médiéval surtout, puisqu’une bonne majorité fait partie de groupe de Grandeur Nature ou de reconstitution historique, comme ici au Québec. Beaucoup de ces Américains font aussi partie de la SCA (Society for Creative Anachronism)  et à ce moment-là, je crois bien que presque tous les combattants québécois ont déjà été au moins une fois à Bicolline ou un autre GN. Pour ce qui est des Ontariens, je l’avoue, je l’ignore, et leur attitude froide et hautaine de ce matin ne m’a pas tellement donné le goût de socialiser avec eux. Le capitaine de l’équipe était champion de duel de l’équipe ukrainienne au béhourd avant d’émigrer au Canada et comme on le sait, ce sport est issu de la reconstitution historique justement dans les pays slaves. J’imagine donc qu’ils sont de ce milieu aussi.
Lors du banquet, on me confie la raison pour laquelle j’avais remarqué une certaine tension entre ce capitaine et Serge, le capitaine de l’Ost du Québec. C’est qu’en apprenant la nouvelle de la création d’une équipe au Québec en 2011 se préparant pour «Battle of the nations» en Ukraine, le champion aurait voulu créer avec ces combattants québécois plutôt une équipe «canadienne», SON équipe, et participer à ce tournoi. Il aurait tenté de faire jouer les dés en sa faveur en 2011 avec l’organisation russe, vous savez le coup de fil de dernière minute? Mais la menace du retrait de l’équipe québécoise au complet, neuf combattants participants, aurait trop amputé le tournoi, n’oublions pas qu’il n’y avait que trois équipes (Allemagne, Italie et Québec) en dehors du bloc slave qui y participaient. Ce pourquoi, les organisateurs n’ont pas eu le choix d’honorer leurs promesses et d’accepter l’Ost du Québec à leur tournoi. C’est fou parfois comme une simple décision, un choix, un oui ou un non peut avoir des répercussions énormes…
Le lendemain nous sommes de retour pour le tournoi et j’espère qu’il y aura un peu plus de monde que la veille, c’est un peu désolant de constater qu’il y a plus de monde dans l’organisation du spectacle et dans le spectacle en tant que tel, que de spectateurs. Aujourd’hui aura lieu les finales et les remises de prix, quelques marchands ont offert des prix la veille et sont repartis en fin de journée avant le banquet, ce qui fait que la section kiosque est un peu vide. Je prends quelques photos, j’offre mon aide à ceux qui en ont besoin, je butine de l’information, des opinions, des commentaires et de temps en temps des baisers furtifs à mon amoureux.
J’avoue que ce jour-là je suis un peu déçue qu’il y ait si peu de curieux, c’est vrai que ces derniers mois j’ai visionné plusieurs vidéos de ce qui se fait en Europe de l’Est et ça semble si enlevant avec la foule. Il y a des vidéos tournées en 2011 en Ukraine et en 2012 en Pologne, on y voit l’Ost se mesurer à ces équipes aguerries et briller, c’est grisant! Bah! J’en aurai bien assez tôt, dans deux mois, Benoit et moi accompagnerons l’Ost en France à Aigues-Mortes, c’est là que «Battle of the nations» débarquera. Il y aura cette fois-ci beaucoup plus de participants puisque plusieurs équipes se sont ajoutées en 2012, comme par exemple l’équipe américaine, ce qui explique que certains combattants américains et québécois semblaient bien se connaître.
L’activité s’achève en cette journée grise d’hiver, les armures remballées dans leurs gros sacs quittent la salle avec leur propriétaire, certaines ne serviront qu’à l’occasion durant l’année, d’autre prendront le chemin de l’atelier pour être réparée ou préparée pour le tournoi Outre-Atlantique dans deux mois. La salle est encore animée par les démonteurs de lice, généralement des combattants ou aspirants combattants. C’est du travail que de monter et démonter cette rampe qui doit être réparée et solidifiée à chaque fois à force de contenir des solides gaillards amplifiés par plusieurs kilos supplémentaires qui eux ne la ménagent pas. Lorsque les tournois ont lieu à l’intérieur, les remparts doivent être souvent maintenus pendant les combats par des volontaires pour éviter qu’elle ne glisse sur le plancher, quand ils ont lieu à l’extérieur, comme pour le gros tournoi mondial, elle est plantée solidement dans le sol.

J’aide comme je peux, en enlevant les morceaux de «duck tape» du plancher, en ramassant des verres vides et en passant le balai, j’écoute aussi et je me demande bien comment et par où commencer. Je suis comme un peintre devant sa toile blanche, j’ai un sujet extraordinaire mais je me demande bien comment je vais l’intégrer dans le cadre de mon doctorat. Ça fait tout juste 1 mois que j’ai été officiellement admise au doctorat, pour septembre prochain, dans plus de six mois et je cherche déjà comment je vais organiser ma thèse, c’est tout moi. Toutefois, j’ai encore choisi une matière brute, neuve, trop récente pour pouvoir m’appuyer sur des ouvrages qui traitent du sujet, c’est pourquoi je dois encore maximiser l’observation directe. Je décide donc de laisser les «images» défiler sans en choisir une précise, on verra avec le temps une idée s’imposera d’elle-même.       

lundi 28 novembre 2016

Automne 2012 Quand ça va mal

Contexte déterminant 

Benoit a perdu son emploi en mars dernier, et moi en juin.
Quelques mois avant, nous avons été victime d’un incendie à notre appart et ça a été un calvaire avec la compagnie d’assurance et la compagnie de nettoyage qui ont tenté de nous escroquer. Avec le propriétaire qui est dans le sud pour l’hiver, l’absence de chez-soi, notre toutou en pension et le stress immense que tout ça engendre à quelques semaines de Noël, notre vie fut un « peu » chamboulée.
Ça peut paraître une folie nous le savons, mais apparemment nous ne raisonnons pas comme tout le monde. Nous avons pris la décision que je m’inscrivais au doctorat, d’abord parce que le système actuel d’éducation ne permet plus officiellement aux spécialistes (histoire, anthropologie, géographie, etc.) d’enseigner dans les écoles secondaires régulières. Autrefois, il existait un certificat en pédagogie, permettant de parfaire le parcours de l’enseignant(e). Aujourd’hui les propositions sont si complexes que c’est à se demander si ce n’est pas fait exprès pour décourager les spécialistes pour protéger ceux qui ont fait leur baccalauréat classique d’enseignement. Mon parcours scolaire était dirigé pour enseigner au collégial, mais c’était sans compter les nombres de places disponibles et les profs qui partent beaucoup plus tard à la retraite. J’ai eu tout de même la chance d’enseigner au secondaire en passant par la porte d’en arrière comme on dit, dans des classes d’accueil et dans un collège privé à l’extérieur de Montréal, parce qu’il y a beaucoup moins de profs qui se bousculent aux portes et l’employeur n’a pas le choix de faire preuve de souplesse.  Mais ma situation précaire m’a fait perdre mon emploi quand le collège a dû couper des postes, j’étais la première sur la ligne de tir.
J’avais commencé une maîtrise à distance en enseignement d’univers social (une des solutions proposées) pour me permettre d’enseigner à Montréal et ainsi me rapprocher de chez-moi, parce que trois heures de route par jour ça use. Un des critères d’admissibilité : prouver que j’enseignais déjà dans un établissement….
Bon coup de chance, un collège à l’extérieur de Montréal m’avait donné cette faveur deux ans auparavant (je compatissais tout de même avec TOUS ces spécialistes sans emploi, coincés dans une règle comme celle-là) mais en perdant mon emploi, à mon tour, je ne pourrai plus la session suivante, prouver que j’enseigne dans un établissement scolaire. Par chance on m’a assuré dans le milieu qu’à partir du moment où je suis à cette maîtrise, je peux envisager de faire au moins de la suppléance, et petit à petit, en étant déjà sur place, on me donnera vite des tâches d’enseignement puisqu’on manque de profs : ils abandonnent, ils tombent en burnout ou tout simplement démotivés de devoir enseigner une matière dont ils ne veulent pas. Parce qu’évidemment on demande aux futurs enseignants d’être des « pédagogues », le choix de la matière est secondaire. Dans les faits, l’univers de l’enseignement ne ressemble en rien à un épisode de « 30 vies », les matières et les groupes font partie des tâches distribuées selon l’ancienneté. Pour le professeur qui rêvait d’enseigner l’histoire, eh bien t’as frappé le mauvais numéro cette année, c’est soudainement moins exaltant quand tu te retrouves devant un groupe de 35 élèves turbulents que tu dois gérer au maximum et auquel tu auras transmis une infime partie d’une matière qui te laisse plutôt tiède. Je me souviens d’une directrice qui m’avait proposé d’enseigner l’anglais et l’éducation physique à une classe d’adaptation, je ne me souviens plus du terme pour désigner ces étudiants, mais je me souviens que s’en était avec des GROS besoins d’encadrement. Avec les maths, l’anglais et l’éducation physique sont probablement les matières où les étudiants en sauraient plus que moi. Dans une classe comme celle-là ? Je me demande encore si je n’ai pas éclaté de rire quand elle me l’a proposé au téléphone.   

Bon, je me dis que j’enverrai mon CV et qu’éventuellement j’aurai peut-être, un jour, une tâche en histoire, mais surtout j’aurai un emploi régulier. Et qu’est-ce qu’on me dit quand je commence mes procédures d’embauche sur le territoire de la Commission scolaire de Montréal ? : « Désolés madame mais vous devez avoir complété la MOITIÉ des crédits ( 30 crédits =10 cours) pour mettre les pieds dans une classe.» Trouvez l’erreur ! Je ne peux m’empêcher de rappeler à la p’tite dame que nos écoles se vident de leurs profs, que c’est un règlement r-i-d-i-c-u-l-e, et je pèse bien mes mots, et surtout que je comptabilise cinq années d’expérience en enseignement.
Et c’est ainsi que nous avons pris cette décision Ben et moi, parce que des choix aussi importants, doivent se faire ensemble, en tout cas, pour nous c’est comme ça. On se dit que tant qu’à devoir continuer de me scolariser en faisant une maîtrise dont je suis en désaccord avec une bonne partie du contenu pour « éventuellement » peut-être avoir une tâche en histoire et Ô fantasme suprême, obtenir une permanence (vers l’âge de ma retraite) si je ne m’écroule pas avant. Pourquoi ne pas me diriger vers un autre rêve, faire mon doctorat qui lui m’ouvre d’autres portes plus intéressantes. Donc, je ferai une demande de bourse dès que je saurai si je suis admissible. En attendant, je fais une demande de chômage et compte sur mes contrats de confection de costumes qui nous procurent un petit revenu. Je monte aussi mon dossier afin de le présenter à l’université et j’obtiens une réponse positive, je suis acceptée au doctorat à l’Université de Montréal ! Mais le programme ne commence qu’en septembre 2013.

De son côté Benoit a perdu son emploi chez Aveos (ancien département de maintenance d’Air Canada). Le département a mis à pied tous ses employés du jour au lendemain, littéralement : On les a appelés le dimanche pour leur dire de ne pas rentrer le lendemain matin, certains n’ont même pas été prévenus. Les actionnaires ont touché des millions de dollars, et les employés ont dû attendre plusieurs semaines pour toucher leur salaire et leur 4%. Des mécaniciens interdits de rentrer au hangar pour récupérer leurs propres outils, payés des milliers de dollars. Des couples ont tout perdu, des familles dévastées, tous obligés de réclamer d’urgence du chômage et attendre les délais, mais quand y a eu aucun salaire et 4% de déboursé tu fais quoi ? La colère, l’anxiété, l’incompréhension, le deuil aussi, c’est une deuxième famille que tu perds d’un coup. L’aide compensatoire promise par Aveos, d’une quinzaine de milliers de dollars brut n’arrivera finalement qu’à la fin décembre, la mise à pied avait eu lieu en mars. Et quand elle arrivera, le chômage exigea le montant de tous les chèques de prestations touchés depuis la mise à pied, environ la totalité de l’aide compensatoire, avant les déductions. Quand t’as l’impression que la vie te tape dessus sans s’arrêter et que tu te dis qu’il est possible que tu ne cadres pas avec les modèles de réussite sociale que la société t’impose. Quand ça va mal, que ça tourne tout croche, tout le temps, peut-être justement que la vie te tape dessus pour que tu te diriges ailleurs ? Voulons-nous vraiment d’une réalité « où l’on perd notre vie à vouloir la gagner » ? Mais bordel ! Où est-ce qu’on s’en va ?

samedi 26 novembre 2016

Rétrospective



Comment ai-je pu en arriver là? Moi qui ne suis ni sportive et ni partisane d’équipe, de près ou de loin ? Comment j’en suis arrivée à faire la promotion de ce sport devenu, depuis quelques années, une activité centrale dans ma vie? Il m’arrive souvent d’y penser, et pourtant ça n’a rien d’étonnant! D’abord j’ai depuis l’enfance été fascinée par l’Histoire, particulièrement le Moyen âge, je lisais tout ce que je pouvais sur le sujet. Une passion qui m’a suivie jusqu’à l’âge adulte où je finis par retourner aux études en Histoire après avoir eu mes enfants et gagné ma vie en tant qu’entrepreneure. Puis il y a eu Bicolline, qu’un ami à l’université me fit connaître.
La découverte de cet univers a été particulièrement importante tout d’abord car j’y ai rencontré Benoit mon conjoint, un passionné comme moi, avec qui je partageais les mêmes intérêts. Si j’arrivais en néophyte dans cet univers du «médiéval» en pleine effervescence au Québec, Benoit, lui était déjà dans un groupe de reconstitution historique du Moyen âge, il pratiquait déjà du combat à lame vive avec armure, mais plutôt comme un art martial démonstratif. Il s’est intéressé à Bicolline parce que cet événement permettait de vivre l’expérience de se battre dans une bataille avec des centaines de guerriers. Même si dans ce cas-ci, les armes étaient en latex et donc les armures moins lourdes, la sensation forte était quand même bien présente, surtout quand on suspend momentanément son incrédulité et qu’on «fait semblant». Moi qui n’est pas très habile à ce jeu, j’ai bien ressenti toutefois lors de ma première expérience, toute cette tension électrique générée par une sensation aussi primitive, j’étais prise dans une foule qui elle y croyait, et si ma tête faisait la cartésienne, mon corps lui suivait. Ça aura été ma seule et unique fois où j’acceptais de prendre part à cette bataille, toutefois, je comprenais les motivations de Benoit, lui qui pratiquait différents arts martiaux et qui, privé de réel combat dans son armure d’acier, compensait un peu en simulant la guerre avec des armes qu’il s’imaginait réelles. Par la force des choses, mon intérêt pour l’historicité de la chose a pris le dessus et la dimension martiale a fini par piquer ma curiosité. Mais quand même pas au point de vouloir l’essayer un seul instant.
À force de participer régulièrement à Bicolline, j’ai commencé à faire de la couture, moi qui ne cousais pas même un bord de pantalon. J’étais tannée de ne jamais trouver de robes «médiévales» à mon goût. En me rappelant qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, j’entamai, armée de quelques conseils glanés ici et là, une longue période d’auto apprentissage sur la machine à coudre de ma belle-mère. De «fil en aiguille» je suis devenue assez bonne pour faire des costumes à mon chum, à mes enfants, à mes ami(e)s et finalement avoir même des contrats. Et toujours ce désir de donner ce caractère historique à mes vêtements, me poussait à faire davantage de recherches sur les modèles, les tissus, les couleurs pour leur apporter un maximum d’authenticité.
J’étais à ce moment-là à la maîtrise en anthropologie, et mon directeur me suggéra de consacrer mon étude sur le phénomène de Bicolline, étant constamment en observation participante depuis quelques années déjà, je n’avais pas besoin d’informateur. Aussi l’évidence même commandait une étude sur le sujet. Oui je connaissais bien l’activité, le lieu, les Bicolliniens, cependant j’ouvris mes antennes et me mis en mode recherche sur tout ce qui gravitait «autour» de Bicolline, de près ou de loin : le monde du GN en général, la littérature, la culture du médiévale fantastique, les activités connexes, le réseau de gens qui participent à cet engouement au Québec, mais aussi ailleurs. J’étais aussi très fascinée par les groupes de reconstitution historique, c’est bien compréhensible, mais pas au point de me joindre à eux, car paradoxalement si bien sûr j’admirais leur souci de la précision historique, je redoutais aussi cette rigueur qui impose des limites dont je ne voulais pas.
En 2010, quelques années après avoir déposé mon mémoire qui fut très bien reçu au département, nous prîmes une pause après 11 ans de «Grande Bataille» annuelle. Je continuais de prendre régulièrement des contrats de couture pour des costume mais nous voulions passer à autre chose, sans trop savoir vers quoi nous lancer.
Puis nous avons entendu parler du Béhourd par l’entremise de Serge Lavigueur, un ami armurier de longue date à Benoit, avec qui il avait fait de la reconstitution. Celui-ci invitait Benoit à se joindre à lui dans ce nouveau sport dont lui-même était l’instigateur au Québec. Auparavant Serge avait entendu parler de ce sport pratiqué par les Slaves et il trouva rapidement l’organisateur pour lui demander s’il accepterait de recevoir une équipe québécoise lors de leur tournoi qui aurait lieu en Ukraine en 2011. Et c’est ainsi qu’avec une volonté inébranlable il rassembla des gars issus du milieu, et équipés d’armures et d’armes sorties de l’atelier de Serge ils s’inscrivirent tous pour aller représenter le Québec en face de la Russie, de la Pologne, de l’Ukraine, de la Biélorussie, de l’Allemagne et de l’Italie.
Mais pour la petite histoire, Serge n’avait pas juste une foi inébranlable en la capacité de son équipe à faire le championnat, il était (il l’est encore!) un fier Québécois qui tenait mordicus à représenter le Québec et non le Canada, ce qu’on lui avait accordé d’emblée. Sauf qu’à la veille du départ, l’organisation lui annonce qu’ils se battront sous l’identité canadienne, Serge ni une ni deux, lui dit qu’ils ne se présenteront pas au tournoi. Sueurs froides, il se demande déjà comment il va annoncer ça aux autres gars qui ont déjà acheté leurs billets. Finalement 30 minutes plus tard, l’organisation le communique pour lui dire qu’ils pourront représenter le Québec. Ouf! Mais il ne se doutait certainement pas à quel point ce petit geste aura de grandes répercussions. Quand la IMCF (International medieval combat federation) sera créée après des démêlés entre l’organisation slave et les autres pays qui avaient fini par se joindre à eux, on demandera que le statut spécifique de « nation » pour l’équipe du Québec soit maintenu à titre de pionnier fondateur du sport avec l’Allemagne et l’Italie, les trois premiers «pays» à se joindre à l’organisation russe. Et une clause grand-père lui sera accordée! Et comme depuis la fondation de la fédération en 2013, le Québec fait de plus en plus parler de lui, par son ouverture sur les autres et ses médailles d’or, il serait bien malvenu de lui retirer ce droit d’exister. Donc merci Serge! Grâce à toi, nous sommes un pays à quelque part! Fin de la petite histoire et début d’une grande.      
Quand nous avons commencé à nous y intéresser l’année suivante, l’équipe était en Pologne et l’événement avait pris de l’ampleur, accueillant cette fois une vingtaine de pays dont les États-Unis. Je regardais les vidéos tournés sur place et ça me semblait terriblement séduisant, un événement de cette ampleur réunissant autant de combattants et d’artisans, de femmes et d’enfants tous costumés qui semblaient sortir directement d’un espace-temps.
            Benoit s’ennuyait de porter une armure, pour lui c’était tout à fait naturel de poursuivre dans cette direction, il pouvait enfin pratiquer du vrai combat sportif avec une armure et des armes réelles. De mon côté, l’anthropologue que je suis, avait mille et une questions sur la pratique d’un sport aussi singulier qui passionne plein d’individus sur la planète sans qu’on en parle nulle part. Je mourrais d’envie de me rendre sur place lors des tournois pour voir, entendre, prendre des photos et discuter avec les gens.



C’est pourquoi je me suis inscrite au doctorat en sachant déjà quelle serait mon sujet : le béhourd, la renaissance du sport de combat dans les tournois médiévaux. C’était une suite naturelle à mon mémoire puisque ce sont souvent les mêmes individus qui passent du GN ou de la reconstitution historique à cette activité. Ce sont généralement des individus qui partagent une culture commune littéraire, cinématographique et de divertissement.   
Ce sport tel qu’on le pratique actuellement, nous vient justement de groupes slaves de reconstitution historique médiévale qui ont ressuscité ces tournois dans leurs événements. Je m’intéressais beaucoup au fait que cette activité suscite de nombreux débats parfois houleux au sein des participants et de la Fédération : constamment tiraillés entre le sport ou l’activité culturelle historique quand il est question d’établir un ensemble de règles.

Je plongeai donc dans mes séminaires de doctorat, mais au bout d’un moment les finances ne suivant plus, il a bien fallu revoir nos flûtes et finalement nous avons conclu qu’une belle thèse auréolée de gloire scientifique ça paraît bien dans une discussion mondaine, mais ça ne restera encore qu’une étude qui sera lue par une dizaine de personnes et qui prendra la poussière sur une tablette du département d’anthropologie de l’université. Rien ne vaut un bon récit épuré de toutes ces restrictions littéraires ou ces grandes démonstrations qui doivent répondre à tous les critères scientifiques et qui doivent être décortiqués, expliqués, détaillés, vérifiés et contrevérifiés, rien ne vaut un récit tout en couleur pour donner le goût d’en apprendre d’avantage sur un sujet proposé. J’ai opté pour des carnets de voyage pour vous permettre de partir avec nous, rencontrer les gens, découvrir ce sport, savourer des anecdotes et finalement comprendre peut-être notre passion.

dimanche 20 novembre 2016

Prologue


PROLOGUE

Nous sommes à la fin du mois de mai et le soleil du Portugal plombe sans pitié dans la cour aménagée de la forteresse de Montemor, les combattants de l’Ost, l’équipe du Québec de béhourd, attendent leur tour pour entrer en piste. La fébrilité, la peur, l’adrénaline peut-être le doute sont au rendez-vous, des émotions qui surpassent l’inconfort de la chaleur. Le malaise est amplifié par l’épaisseur du tissu sous le poids de l’armure et le manque d’air à l’intérieur de leur casque qui pourtant, les protégeront de la violence des coups d’épée ou de hache frappés à pleine puissance par leurs adversaires.

Moi qui suis tout près, je ressens bien cette tension et je ne peux m’empêcher de penser à ces gladiateurs qui attendaient sous le forum, à la différence près que ceux-ci luttaient pour leur survie. Il devait en être ainsi aussi au Moyen âge, sur le campement quand se préparant au combat, le guerrier craignait pour sa vie. Mais il devait tout de même trembler aussi lors de tournois organisés. Bien sûr, ce dernier était habitué à la violence, ça faisait partie de son monde mais si on exclue les blessures et les coups de chaleur, le béhourd  était un sport divertissant qui lui permettait d’améliorer ses techniques, de se mesurer aux autres et évidemment de se faire remarquer. 
Cependant, aujourd’hui, nos gladiateurs des temps modernes ne sont pas des soldats, ils gagnent leur vie dans un monde aseptisé où la violence est devenue un tabou. Pourtant, ils sont là, de leur plein gré, attendant leur tour, concentrés à chercher en eux une violence transmise par leurs tout premiers ancêtres, une violence primitive afin de la canaliser et de la projeter dans leurs coups.

Le commentateur annonce l’entrée en lice des deux équipes de cinq combattants. Les Québécois avec leur tabard bleu et blanc, retenu par leur ceinture fléchée pénètrent dans la lice aménagée deux jours plus tôt, à quelques mètres des estrades des spectateurs, pleine à craquer d’une foule aussi enthousiaste que s’il fut s’agit d’un match de soccer. Les adversaires prennent place en face les uns des autres, aux deux extrémités, se jaugent, se mesurent, évaluent, repensent à leur stratégie. Est-ce que chacun se souvient de ce qu’il doit faire? Les voilà à s’échanger quelques rappels juste avant que le round commence.  Ils affrontent l’équipe de l’Allemagne, une équipe aguerrie qu’ils connaissent bien, puisque celle-ci comme celle du Québec et de l’Italie, furent les premières à rejoindre en 2011 le tout premier tournoi de Béhourd qui était subventionné et organisé pour et par la Russie et ne concernait que l’Ukraine, la Pologne et la Biélorussie.

Tout se décidera en trois rounds d’une durée indéterminée car le but est de faire tomber les adversaires en frappant avec les armes ou les poings, en se servant de prises de lutte ou de plaquages, etc.  Presque tous les coups seront permis et c’est pourquoi les armures doivent être réglementaires, sécuritaires et confortables… autant que possible.

L’arbitre en chef, avec un signe de tête s’assure que les équipes soient prêtes et crie «fight!», s’ensuit alors les mouvements d’avancée puis le choc brutal des armures qui se fracassent l’une contre l’autre. On repère rapidement les «runners» plus rapides et les lourds qui s’emparent souvent à bras le corps de leur adversaire pour les faire tomber ou pour les tenir afin qu’un autre frappe pour le faire abandonner. Trois ou quatre arbitres se tiennent à l’intérieur et l’extérieur tout près de la rampe et surveillent bien les combattants et leur rappellent qu’ils sont «out» lorsqu’il y a trois points d’appui par terre, ou quand l’un s’agrippe trop longtemps au montant de la lice pour éviter de tomber ou pour être en mesure d’intervenir rapidement s’il y a blessure. Ils sont tous vêtus de jaune pour qu’on les repère facilement. Pour le spectateur, il est difficile de savoir ce qui se passe sous l’armure et surtout sous le casque, c’est pourquoi la promiscuité de l’arbitre est importante, de même qu’il doit, s’il veut arrêter le combat se servir d’un grand bâton auquel est accroché un drapeau jaune. Il va le dresser immédiatement entre les adversaires, qui sont restreint au niveau de la vue et de l’ouïe.

Le premier round est remporté par Québec! La foule applaudit, l’équipe du Québec est souvent populaire lors des tournois. J’ai souvent remarqué une sympathie générale pour les Québécois, peut-être est-ce dû à leur curiosité, une ouverture qui les amène à socialiser rapidement avec leurs hôtes, ou bien parce qu’ils se démarquent par des gestes particuliers, originaux lors des tournois.
La lice se vide et les combattants ont hâte de boire un peu d’eau, certains enlèvent rapidement leur casque, d’autre préfèrent le garder pour les quelques minutes de pause et ne soulever que leur visière pour se rafraîchir et se désaltérer.

Je me tiens près de mon homme qui entrera à son tour au round suivant pour prendre la place d’un autre, je sais qu’il ne me voit plus, ne m’entend plus, il est connecté direct avec son équipe et toute cette puissante «aura» de testostérones. Il savoure peut-être les clameurs de la foule. Il ne tient plus en place, prend une gorgée d’eau et met son casque, je lui attache sa sangle sous le menton, c’est déjà un sauna là-dessous! Je me sens un p’tit peu coupable de fuir le soleil et de maudire «silencieusement» la chaleur, moi dans ma robe médiévale, lui sous 60 livres de tissu et d’armure s’apprêtant à faire un sprint de cardio.

Des journalistes s’insèrent un peu tout le tour pour maximiser les belles prises de vue, ils détonnent tellement avec leur jeans et leurs lunettes fumées dans tout ce spectacle vivant sorti tout droit du Moyen âge, c’est la règle lors des tournois internationaux, combattants et accompagnateurs doivent en tout temps être costumés historiquement correct. J’avoue que pour le spectateur ça ajoute beaucoup d’allure à l’événement! Parfois des spectateurs réussissent à se glisser mais sont vite repérés justement à cause de leurs vêtements, ils sont alors reconduits dans les estrades.
Voilà qu’on annonce le deuxième round!
Même rituel de l’arbitre en chef, et puis «FIGHT!»
Ça joue dur, ça joue fort, encore tout cet acier qui crie sous les coups. Je surveille de près mon guerrier préféré et récite une mini prière silencieuse, pour la forme, pour qu’il donne plus qu’il n’encaisse et surtout qu’il ne se blesse pas. Une entorse, une commotion, une blessure au visage à cause d'un casque mal «padé», une fracture, ce sont des choses qui arrivent sporadiquement, comme au football ou au hockey. C’est juste que c’est toujours spectaculaire de voir un tank foncer avec sa hache et frapper de toutes ses forces sur un casque, ça l’est d’autant plus quand sous ce casque c’est quelqu’un qu’on aime très très fort.
Mais voilà que le Québec gagne aussi le deuxième round, donc la victoire totale!
                Délire!
J’observe Benoit qui ne semble pas blessé, soulagement, fierté, plaisir partagé.
Je me délecte des rugissements de la foule, il en aurait été autrement si l’équipe adverse avait été celle du Portugal.
Les combattants des deux équipes vont se saluer, se prendre dans leurs bras, se féliciter et sortir afin de laisser les équipes suivantes prendre place à leur tour pour la suite des combats. Les Québécois qui se sont hâtés d’ôter leur casque,  maintenant jubilent! Les Allemands sont des adversaires coriaces mais ce sont aussi des amis, et en moins de deux, les voilà qui fraternisent tous ensemble sous la grande tente, se gratifiant de leurs bons coups et partageant des trucs d’art martiaux. C’est un des aspects qui me laissent toujours sans voix mais qui me fait sourire aussi, cette fraternité qui semble n’avoir d’égale que dans la violence d’un sport aussi brutal. Comment peuvent-ils exprimer une telle décharge de violence sur quelqu’un, même si c’est dans le cadre sportif, et l’instant d’après être capable de rire autant avec lui?