Ça fait des années, qu’on projette d’aller
à Dublin pour voir le Book of Kells au Trinity College, d’aller visiter la
célèbre cathédrale St-Patrick et de prendre une bière au fameux pub Temple bar,
c’est aujourd’hui que nous y allons! Notre choix de logis dans le quartier
Temple bar a été justement pensé en fonction d’être le plus près possible des
endroits où nous voudrions aller parce que nous n’avons qu’une seule journée pour
le faire. Nous sommes conscients que c’est vraiment peu, mais je me dis, comme
je le fais toujours en voyage pour profiter au maximum du présent, qu’anyway on
reviendra pour voir le reste.
Cependant on se dépêche de commencer notre
journée, et on ne s’attarde pas dans notre chambre. L’annonce disait un
appartement, dans les faits, c’est une chambre avec un petit coin espace
d’environ un mètre et demi de large pour le mini frigo, comptoir, deux ronds à
cuisiner et un lavabo. La salle de bain est minuscule et aurait besoin de
sérieuses rénovations et comme pour le lavabo, faut penser à ouvrir la «switch»
pour obtenir de l’eau chaude. On fait pas trop nos difficiles, on a un lit
propre et on est tout près de ce que nous voulons visiter.
À quelques coins de rue, il y a un gros
Starbuck, c’est parfait, pour un déjeuner (une banane et un bout de fromage pour
Benoit) sur le pouce et un gros café. Nous sommes mardi, heure de pointe, ça
grouille de travailleur(euse)s et d’étudiant(e)s, ça bouge beaucoup et vite,
nous sommes décalés dans notre errance touristique. Les gros autobus à deux
étages, les autos, les camions de livraison, les scooters et beaucoup beaucoup
de cyclistes et de piétons circulent dans des rues qui sont assez étroites à
notre perspective. C’est comme si nous avions la circulation de Sherbrooke à la
hauteur de St-Denis, avec les cyclistes et les piétons du Plateau le tout circulant
sur Ste-Catherine. On est Montréalais depuis près d’une vingtaine d’années et pourtant
on est impressionnés par autant de mouvement aussi près de nous!
Faut avoir des yeux tout le tour de la
tête, particulièrement quand on traverse les rues, celles qui ne sont pas à
sens unique surtout. Mine de rien, quand les autos roulent à sens inverse de ce
que nous connaissons, nous nous y prenons à deux et trois fois pour regarder
des deux côtés, sans même trop nous en rendre compte. Autour de l’université, y
a aussi plein de réparations de rue, de cônes orange, de détours à faire, ça
nous rappelle un peu notre Montréal bientôt complètement orange d’automne et orange
de réparations actuelles. Les détours pour nous rendre à la porte du célèbre
College sont assez complexes et finalement on va pour le plus facile :
Nous suivons le flot étudiant.
Nous optons pour la petite visite guidée
par des étudiants, en échange de quelques euros. Elle se limite à une visite
extérieure autour de l’Université, de la Cour, des différentes parties des
bâtiments où on nous parle de son histoire et de quelques anecdotes.
Je ne suis pas tant impressionnée par
l’allure extérieure des bâtiments, je suis même un peu surprise par leur
sobriété, après tout, c’est une université qui accueille seulement 17 000
étudiants par année, en comparaison, l’université de Montréal en reçoit
64 000. Fondée en 1592 par Élizabeth 1ière, c’est la plus
vieille université d’Irlande, et jusqu’en 1793 elle était réservée aux jeunes
hommes anglicans. Après cette date, elle fut accessible à tous mais interdite
par l’Église catholique et gaélique qui fonda en 1851 la Catholic University of
Ireland. Ce n’est qu’à partir de 1970 que l’autorité cléricale accepta que ses
fidèles fréquentent Trinity College. Les femmes y furent, tant qu’à elles,
admises à partir de 1904. Beaucoup de grands écrivains l’ont fréquenté,
beaucoup d’auteurs comme Bram Stoker, Samuel Becket, Jonathan Swift (Les voyages
de Gulliver), Oscar Wilde, mais aussi Mary Robinson, première femme présidente
d’Irlande et Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, entre autres.
Une partie de ma conscience tente de
suivre le guide, mais comme je sais que Benoit pourra me faire un résumé de ce
que je n’ai pas saisi, je laisse l’autre partie errer. Je pense aux Irlandais,
ceux qui ont fréquenté l’autre université, la gaélique, je pense aussi à ses
gens qui à peine sortis de la misère économique ont lutté pour leur indépendance. Je
suis admirative en songeant à ce peuple qui a tant souffert par la main
anglaise, la famine la pauvreté, l’injustice, les interdictions de parler leur
langue ou d’utiliser leurs référents culturels, les luttes, la ténacité, les
sacrifices pour obtenir finalement leur indépendance en 1949 et devenir la
République d’Irlande. J’ai commencé à m’intéresser vraiment à la politique avec
notre référendum de 95, et j’en suis sortie dévastée après tant d’espoir et de
rêves de souveraineté. Le film Michael Collins est sorti l’année suivante et
j’ai découvert avec lui, l’Irlande politique, celle qui est passée à
l’histoire. Que j’envie leur victoire, leur indépendance vis-à-vis de la
couronne britannique!
Si vue de l’extérieur, elle n’est pas
vraiment différente de n’importe quelle université ancienne, l’université
renferme de véritables trésors, dont sa bibliothèque immense qui abrite toute
l’ancienne littérature irlandaise, y compris de magnifiques manuscrits
médiévaux et bien sûr, le livre de Kells.
Quand nous entrons, nous sommes sans voix,
complètement subjugués! Sûrement que J. K Rowling s’en est inspirée quand elle
a imaginé Poudlard. Le paradis du livre ancien! Tous les livres sont classés
judicieusement, des énormes dans le bas aux plus petits, tout en haut, car des
échelles sont nécessaires dans toutes les sections sur les deux étages. Au
milieu, trône une superbe harpe, que la légende attribue à Brian Boru, le roi
le plus emblématique du passé irlandais qui est mort en 1014. Dans les faits,
elle date plutôt du 14ième ou 15ième siècle et appartient
au Trinity College depuis 1760. Elle est l’une des trois seules harpes de ce
type qui ont traversé les siècles et est devenue le symbole de l’Irlande ainsi
que le logo, en 1876, de la célèbre bière noire de la brasserie Guinness.
Nous folâtrons un peu chacun de notre côté,
en pamoison sur à peu près tout ce que nous voyons jusqu’à ce qu’un agent de
sécurité vienne me parler assez rudement, il croit que je suis entrée à partir
de la boutique souvenirs qui est l’étage au-dessous, sans payer. Je ne
comprends vraiment pas quelle mouche l’a piqué et comme je suis en train de
chercher mon billet d’entrée dans ma sacoche, avec la ferme intention de lui
coller sur le nez, Benoit arrive en trombe, voyant probablement la fumée qui me
sort des oreilles, et vient expliquer dans un meilleur anglais que le mien que
nous avons bel et bien payé.
Non mais, c’est quoi cette attitude
d’accuser les gens gratuitement! Ça me prend un bon quinze minutes à me calmer.
La magie un peu atténuée par ce malotru nous descendons justement dans la
boutique souvenirs, juste par curiosité mais je m’achète tout de même une
mignonne petite bague à cinq euros qui change de couleur selon l’intensité de mon
amour (la chaleur de ma main) et serti d’un triskel.
Ensuite nous ne perdons pas plus de temps,
nous voulons voir le Grand Évangéliaire de saint Colomba appelé communément the
Book of Kells, ouvrage d’enluminure absolument magnifique qui date aux
alentours de 800 après J-C, à l’époque de Charlemagne. L’Irlande à ce
moment-là, est un cas unique au sein de la chrétienté, d’abord moins centralisé
et moins organisé que sur le continent et d’avantage tournée vers le
monachisme. L’isolement et la culture orale et artistique environnante influencent
une forme particulière de christianisme depuis le 6ième siècle et
font de l’Irlande, l’incontournable du bon moine.
Malheureusement, on ne peut prendre des
photos du manuscrit puisque nous n’y avons accès qu’indirectement étant donné
sa fragilité, c’est pourquoi plusieurs pages ont été photographiées, agrandies et
mises sur de grands panneaux pour qu’on puisse bien les voir. Les photos qui
suivent ont été prises sur Internet toutefois.
Après une bonne heure à admirer ces chefs-d’œuvre,
notre estomac commence à réclamer à manger, mais nous aimerions passer voir la
cathédrale Saint Patrick avant de nous arrêter pour bouffer. Donc on sort
rapidement et après avoir jeté un coup d’œil à notre carte, nous repérons
rapidement le lieu où nous voulons aller.
La circulation nous semble un peu moins dense, mais
après quelques heures passées dans une bibliothèque silencieuse et un musée à
faible intensité lumineuse, la rue est tout de même un peu brutale. Cependant
en moins d’une demi-heure nous entrons dans un autre endroit reconnu pour le
calme, une cathédrale.
Saint Patrick, cathédrale catholique reconstruite
au 13ième siècle, est devenue plus tard le siège du culte anglican
en Irlande. Elle porte le nom du saint patron qui aurait officié la première
fois, au 5ième siècle, à cet endroit. Comme c’était de coutume, les
premiers établissements chrétiens se construisaient sur les lieux des anciens
cultes païens, une stratégie efficace qui fonctionnait bien, puisque les
fidèles continuaient de s’y rendre pour les mêmes raisons au fond. On peut
supposer que Patrick choisit le nouveau lieu de culte de la même façon afin d’y
faire construire une première cathédrale, qui sera remplacée par les Normands
au 12ième siècle, puis reconstruite un siècle plus tard.
L’avantage d’avoir un chum aussi maniaque
d’histoire que moi, c’est qu’on aime visiter les mêmes endroits et qu’aucun ne
s’ennuie, bien sûr, aucun des deux ne rappelle à l’autre qu’il est peut-être
temps de passer à autre chose. Pour l’instant c’est notre estomac qui crie
violemment après avoir patienté un autre bon deux heures! Ok Ok on s’en va
luncher!
Nous
ne sommes pas très loin de notre chambre et tout près il y a des p’tits snack
bars où l’on sert des loaded fries comme on a mangé à Galway, miam.
Ùne frite, bacon, crème sûre assaisonnées et oignons verts. 8 000 calories (je présume)! |
Beaucoup de clés et serrures sont encore sur un modèle ancien. |
Nous avons pensé à appeler une compagnie
de taxi, pour en réserver un à 8 heures devant notre porte, puis finalement
nous décidons que nous serons en bas à 7:00 et nous nous débrouillerons comme
nous le faisons toujours anyway!
Quand on finit de luncher, nous sommes en
fin d’après-midi et nous retournons dehors, le reste de notre journée est
consacrée à se promener dans le quartier et à s’arrêter dans un pub ou deux. Y
en a partout et pour l’instant c’est encore un peu tranquille, bien que nous
ressentons déjà la fébrilité du nightlife
à chaque tournant, y a tout plein de touristes qui cherchent sûrement la même
chose que nous : des pubs animés! Ici et là, quelques-uns s’éveillent un
peu comme des réverbères qui s’allument à mesure que la pénombre du crépuscule
fait place à la nuit. En tout cas c’est pas bien long que les pubs se
remplissent, à l’intérieur mais aussi autour, débordant de clients qui ne
peuvent supporter d’être aussi tassés autour du bar et des musiciens ou tout
simplement pour pouvoir fumer. De toute façon, le party est autant dehors qu’en
dedans.
Nous y allons à l’oreille, on entre dans
le premier où on entend un musicien, le temps de quelques chansons en sirotant
un Black&tan (moitié Guinness et
moitié cidre) et un cidre pour Ben. Mais la rue nous appelle, nous retournons
nous promener, gourmands que nous sommes, de tout voir, entendre, goûter et
ressentir. Évidemment c’est en majorité des touristes comme nous qui déambulent
dans les rues, débouchant aux intersections avec le même air insouciant et
heureux que nous. Nous sommes bien conscients que nous passons notre soirée
dans ce qu’on appelle «une trappe à touristes», mais on s’en fout, on a du fun!
Nos jambes nous mènent tout naturellement vers
le mythique Temple bar et nous nous y engouffrons sans la moindre hésitation pour
nous mêler à cette foule joyeuse et bien réchauffée par le band qui joue à fond
la caisse des airs de néo-trad que nous reconnaissons bien pour en avoir entendu
plusieurs au Hurley’s irish pub à Montréal.
Nous profitons totalement de l’instant présent, conscients que dès demain matin
ce sera la course folle pour nous rendre à l’aéroport, puis vers Montréal et notre
train-train quotidien, qui n’est jamais tout à fait banal dans notre cas.
Dans l'avion, Ben découvre un souvenir du tournoi, gracieuseté de Peter. |