jeudi 29 décembre 2016

Escapades chez les Américains 2015






Mars 2015 New Jersey

Quelques semaines après ce tournoi hivernal, nous prenons la route pour aller à un tournoi organisé par l’équipe américaine au New Jersey, pour eux ce sont leurs propres qualifications pour le tournoi à Malbork en Pologne. Contrairement à nous, ils sont plus nombreux et paient un prix de membre qui aide à financer l’équipe qui fera le voyage, et c’est pourquoi, ils doivent sélectionner les meilleurs combattants. Moi et Benoit ferons la route avec Andrew dans une voiture louée, y a quelques combattants québécois et Amélie qui vient donner un coup de main. Nous dormirons à l’hôtel le soir et repartirons le lendemain matin, on n’a pas les moyens de rester plus longtemps, déjà on a pris une chambre pour nous trois, les chambres ont deux lits doubles, et partageons la location de la voiture et l’essence.

Nous partons le vendredi soir et les gars ont prévu rouler de nuit à tour de rôle, moi je m’occupe de la musique assise derrière, et commence ainsi l’éternelle obstination entre eux sur toute sorte de sujets comme par exemple l’itinéraire. Un moment je ne les entends plus et m’assoupis pour une bonne partie de la route. C’est la deuxième fois que je vais vraiment aux États-Unis, si on exclue quelques escapades dans les années 80 à Old Orchard ou au Lake George (quand c’était un haut lieu de villégiature pour les Québécois) et un voyage à Las Vegas pour aller rejoindre ma sœur et mon beau-frère qui travaillait sur le show de Cheval théâtre. Le premier étant notre petite escapade en amoureux à Boston, il y a quatre ans. Pour l’instant je ne vois pas grand-chose, mais j’en profiterai sur notre retour qui se fera de jour. Au petit matin, on arrête déjeuner puis on se rend au Centre où a lieu le tournoi, je me demande comment les gars arriveront à faire leur journée, ils ont un peu dormi dans l’auto mais tout de même, pas des conditions idéales avant un tournoi. En plus, Benoit a toujours des coups de fatigue après avoir mangé, j’ai comme l’impression qu’il ne sera pas très efficace. Sur place on retrouve les autres Québécois et on reconnait plusieurs Américains, c’est un beau centre avec un immense gymnase et une pièce adjacente qui sert aujourd’hui de vestiaire qui aurait pu accueillir une vingtaine de joueurs de basketball, mais certainement pas une trentaine de combattants qui doivent enfiler leur armure. On pourrait remporter un exploit Guinness aujourd’hui, réussir à ne pas s’évanouir par manque d’oxygène dans des conditions extrêmes. Y a du « mâle » en bedaine au cube!
Dans les estrades, y a pas beaucoup de monde, un peu comme au Québec, mais les spectateurs se montrent un peu plus démonstratif, en tout cas, ceux qui sont là aujourd’hui, même s’ils sont peu nombreux, semblent connaître ce sport et l’apprécier. Chez-nous, j’ai croisé souvent des regards perplexes, c’est encore vraiment « underground » comme sport. Quand j’en parle, ce que je fais de plus en plus souvent, je dois rectifier à chaque fois le tir : « Non ce n’est pas un truc d’épée en mousse, non ce n’est pas du grandeur nature, oui les armes sont « vraiment vraiment pour vrai » des armes réelles. Oui ce sont de vraies armures et non les blessures ne sont pas si fréquentes, pas plus qu’au football. Bon pour faire exprès Andrew, Étienne et Régis sortent des combats blessés. Je suis presque soulagée que Benoit n’ait pu se battre parce que son armure n’était pas adéquate, forcément il aurait été blessé lui aussi. Étienne a trébuché et est tombé assis sur un bout de clôture qui entrait dans la lice, Régis a reçu un coup illégal à toute puissance dans le dos et Andrew a reçu une coupure derrière la cuisse, une partie mal protégée. Si je dis que Benoit aussi aurait été blessé c’est que lors de ces qualifications, la compétition est extrêmement féroce, les combattants motivés à faire partie de l’équipe qui ira au tournoi mondial, mettent toute la puissance et n’hésite pas parfois à tricher. Finalement les Québécois auront servi de chair à canon dans ce tournoi qu’ils avaient cru plutôt amical. Andrew est obligé de se rendre dans une clinique pour se faire recoudre et les combats sont terminés pour nos combattants.

On se demande comment ça va se passer pour Andrew qui a oublié de se prendre une assurance voyage, mais finalement ça ne lui a rien coûté, on nous dit que ça dépend de certains états. Nous devons nous réunir pour un souper collectif dans un restaurant pas trop loin, et on doit attendre dehors pendant une bonne quinzaine de minutes parce qu’il n’y a pas de place. On est un peu impatients, surtout qu’il fait frisquet et qu’on s’est inscrit la semaine avant. Une table d’hôte a été prévue pour nous tous, à 35$ américain, on espère que ça sera bon à ce prix-là. Eh ben non, tout simplement non, moi, restauratrice dans une autre vie et Régis fils d’aubergistes assis en face de moi, sommes découragés. D’abord l’établissement est un « Apportez votre vin », on ne nous l’a pas dit, nous qui pensions prendre une bière ou un verre de rouge, on doit tout simplement s’en passer. Sur la table d’hôte, y a trois choix de menus, mais quand on voit passer les assiettes, ce qui est dans les assiettes est invisible, copieusement arrosé d’une sauce tomate, apparemment la même pour les trois plats. En entrée, nous avons droit à un tout petit bol de salade iceberg avec deux trois morceaux de tomates et de concombre, et y paraîtrait que le dessert était un plateau de pâtisseries, mais il a fallu le rappeler aux serveuses qui ont apporté une assiette de p’tits gâteaux achetés à l’épicerie, sans jamais offrir de thé ou de café. Donc voilà! Après les divers discours du capitaine américain à propos de choses qui ne nous concernent pas finalement, nous sortons affamés, mais «petite ville signifie rien d’ouvert après 22:00 hrs». On va aller se coucher plus vite, donc on va se lever plus tôt et on ira déjeuner quelque part. 

Avec la levée des corps, vient l’impression que notre séjour a été un peu un pétard mouillé, Andrew rapporte une belle balafre derrière la cuisse, Benoit n’a pas pu participer et même si au fond de moi je crois que c’est une bonne chose, on est quand même venus un peu pour rien et ça nous a coûté trop cher. On décide d’aller déjeuner dans un petit restaurant au stationnement bien rempli, on se dit que c’est bon signe, mais si on arrête notre choix là c’est parce qu’on veut manger un vrai déjeuner, pas un fast food. Et cette fois-ci nous sommes bien servis! Un vrai restaurant de village où tout le monde se connaît, évidemment, nous sommes les étranges, nous ne sommes pas du coin et même du pays. Après que les client(e)s se soient habitués à notre présence et aient constaté que nous n’étions pas aussi exotiques finalement, la serveuse nous apporte les menus et là le déjeuner typique, œufs bacon, fèves au lard, etc. vint nous faire oublier le souper de la veille. Délicieux!

C’est avec le ventre plein qu’on reprend la route jusqu’à Montréal. Benoit et Andrew reprennent leurs sempiternelles obstinations, et moi, ma job de DJ. Je regarde le paysage le long des routes dans le New Jersey, puis le New Hampshire, je constate qu’il y a beaucoup de maisons délabrées, certaines ont l’air abandonnées, on peut observer les effets de la récession quelques années auparavant. Dans le Vermont ça semble moins pire, mais ça reste une impression, ce qui est bien dans le Vermont c’est qu’ils ont des aires de repos où l’on sert un excellent café d’une compagnie locale et chacun est libre de laisser le montant qu’il désire. Je crois qu’on s’est arrêtés à tous ceux qui étaient sur notre route.    


Avril 2015

On partait bientôt pour la Pologne, et cette fois-ci, tous les deux! Un des chefs exécutifs de l’équipe américaine, qui a ouvert son école de combat médiéval récemment à Nashua au New Hampshire, avait invité Benoit, pour que celui-ci donne un entraînement de lutte à ses gars. Il nous offrait de dormir chez-lui et pour la bouffe, faut pas s’en faire, y a toujours plein de monde qui passe à l’école et le samedi soir on se réunit après l’entraînement, on se fait une bouffe, rien de bien compliqué. Pour nous qui surveillons nos sous, c’est bon, nos seules véritables dépenses seront l’essence et des p’tits extras sur la route. Je crois bien que c’est pas mal à partir de là que j’ai commencé à apprécier nos longs voyages sur la route, en amoureux. Les matelas pneumatiques dans le coffre, une petite glacière remplie de quoi grignoter et boire, quelques bonnes playlists et on part sur la route à la fin de la nuit pour voir le soleil embraser l’horizon et se lever triomphalement. Cette lumière nous fait du bien après toutes ces intempéries dans nos vies. 

Nous voilà à parcourir les 520 km qui relient Ste-Adèle et Nashua New Hampshire, sans nous plaindre, au contraire, et nous les referons au retour 48 heures plus tard avec le sourire. Nous sommes ensemble, libres comme l’air, la musique plein les oreilles, la tête pleine de rêves et de projets et Benoit s’est fait inviter pour donner un entraînement. C’est valorisant, et avec toutes les claques que Benoit a reçu, cette invitation est un véritable baume, on croit en lui et ses capacités au sein de ce sport. En effet, Jaye et Benoit avaient eu l’occasion de discuter lors des tournois hivernaux au Québec, au New Jersey le mois dernier et des assemblées générales en Espagne et en Pologne. Ils en étaient convenus qu’un séminaire interdisciplinaire dans un contexte convivial serait une excellente façon d’échanger des connaissances. Moi aussi je gagne dans cette rencontre, puisque je vais chercher du matériel pour mes recherches, n’est-il pas intéressant d’observer les Américains chez-eux dans leurs entraînements et leurs perceptions concernant ce sport en général? Mais comme j’ai décidé de ne pas me mettre de barème et de laisser couler le flot d’informations en attendant qu’une tendance se dessine qui pourrait m’aider à trouver mon sujet, j’ouvre grands les yeux et « grandes grandes grandes » mes oreilles pour comprendre au maximum ce que mes oreilles francophones pas super bilingues peuvent traduire. Bien sûr, au début je demande souvent des précisions à Benoit, mais c’est très frustrant car j’ai besoin de saisir TOUTE l’information incluant les détails que Benoit croit trop superficiels pour me les dire, mais que ma compréhension me permet de savoir qu’ils sont là ces détails, laissés en suspens. Mais Jaye m’aide beaucoup, d’abord parce qu’il se montre ouvert et intéressé par mes recherches, et conscient de mes lacunes pour comprendre, il est d’une patience inouïe. Lorsque nous échangeons, il prend le temps de me laisser formuler et fait de l’écoute active, lui prend le temps d’articuler et me donne plein d’informations et parfois certaines avenues auxquelles je n’avais pas pensé. Je rencontre par la même occasion sa femme Jana artiste aux multiples talents qui comme moi consacre une bonne partie de sa vie à ce sport et surtout à l’équipe américaine. C’est une perle de gentillesse et de douceur, elle est toujours dans un coin tranquille en train de dessiner des logos, de peindre des boucliers, de fabriquer des chapeaux, de prendre des photos et de s’occuper de la visibilité de l’équipe sur les médias sociaux.  Elle et Jaye ont abandonné leur emploi respectif pour se consacrer uniquement à leur école baptisée le « Knights hall » qui est le centre de leur vie.

Le séminaire est en fin d’après-midi, quelques heures après notre arrivée, la salle d’entraînement est vraiment bien aménagée, l’école étant située dans un immense bâtiment qui a servi d’usine au début du 20ième siècle a été récupéré en locaux pour certaines entreprises. L’architecture de base a un petit côté « Old fashion » qui me plaît bien, avec ses grandes fenêtres qui permettent à la lumière naturelle de s’imposer partout. La particularité de ce type d’école c’est de prendre en considération l’équipement qui est aussi important que la forme physique ou les techniques de combat, car contrairement aux autres sports, on ne peut pas s’équiper dans le Canadian Tire du coin. Les armures se fabriquent à la main par des artisans et comme elles ont la vie dure, sont constamment sujettes à devoir être réparées ou ajustées, au Knights hall, un atelier est prévu pour « tapocher » bruyamment sur son armure. Ça aussi c’est vraiment très utile surtout pour ceux qui ne peuvent le faire chez eux soit par manque d’espace, soit à cause du bruit et des voisins, soit parce qu’ils n’ont pas les outils pour travailler l’acier ou le cuir. L’avantage d’un atelier central est aussi d’être un lieu d’échange de connaissances où se soudent les liens nécessaires à une équipe solide. 


Je me dis que ce serait vraiment bien si nous avions quelque chose qui ressemble à ça, parce que l’unité et la solidarité ça manque un peu chez nous dans ce sport. On trouve des petits noyaux ici et là, mais on sortira gagnant vraiment le jour où nous irons ensemble dans une direction… incluant dans ce sport.

J’assiste sagement au séminaire, installée, derrière la grille qui protège les spectateurs quand il y a du combat en armure, je remarque que les participants sont très attentifs pendant les explications de leur invité québécois, et contrairement aux entraînements que Benoit donne au Québec, personne ne rouspète ou ne tente de remettre en doute ses enseignements. Ses élèves temporaires ne sont pas ni plus, ni moins bons que ceux à qui ils enseignent au Québec, mais le fait qu’ils sont disciplinés et ouverts, rend le séminaire efficace. Comme toujours, je trouve que ses entraînements sont « tough »! Je ne pourrais pas être son élève, je tomberais d’épuisement dans les premiers 15 minutes, mais c’est pour ça que je ne pratique pas ce sport, si je peux déployer pas mal d’agressivité, je n’ai pas d’endurance et je suis tellement moumoune! Mais par-dessus tout je ne supporterais pas la honte de me plaindre quand je vois Benoit qui se donne encore plus physiquement que ses élèves, qu’il sue des litres et qui dirige sa classe tout en l’encourageant. Sincèrement je ne comprends pas comment il fait pour déployer autant d’énergie, nous nous sommes levés dans la nuit, il a conduit six heures, on a mangé un burger en chemin (qu’il l’a plus affecté que nourri), et après quelques heures de discussion avec Jaye, il s’est changé et a donné et fait avec le groupe son super entraînement. Et il est tout sourire, heureux, semble moins affecté que les autres, qui j’en suis certaine doivent un petit peu le maudire secrètement, même si ce n’est que temporairement, en tout cas, moi je le ferais !!!

Jana et les femmes, celles qui ne font pas d’entraînement ou de combat, sont allées acheter de la nourriture au supermarché pendant le séminaire et sont en train de cuisiner le souper que nous prendrons en commun. J’offre un coup de main, mais honnêtement je me sens comme un chien dans un jeu de quilles, comme j’aimerais mieux m’exprimer et échanger avec elles. Quand je m’excuse auprès de l’une d’elle pour mon anglais défaillant, elle me dit en riant que je suis tellement meilleure en anglais qu’elle en français, ça remet les choses en perspective effectivement, soudainement je me sens moins malhabile et moins gênée de parler dans une langue qui n’est pas la mienne.



Après avoir pris un bon repas et quelques bières en soirée, la fatigue nous rattrape et quand tout le monde finit par partir, nous nous écroulons sur le gros futon de la salle de séjour et dormons comme des bébés. Le lendemain, nous décidons d’aller déjeuner dans un resto du coin, en attendant que l’école soit ré ouverte car il y a un entraînement de Jaye en après-midi et Benoit veut y assister, il profite de toutes les occasions qui se présentent, car il veut être en forme pour le tournoi de Malbork qui arrive à grands pas. Comme il travaille le lendemain matin, nous partirons tout de suite après, nous sommes conscients que nous arriverons au beau milieu de la nuit à Ste-Adèle, mais nos priorités sont là à portée de main. Mais définitivement je ne peux plus maintenant fermer les yeux dès que le moteur se met en marche comme je l’ai fait toute ma vie, je dois être totalement la coéquipière, c’est-à-dire, m’assurer du confort du conducteur, de le garder éveillé en discutant, en m’occupant de la musique, de le fournir en snack, d’être la deuxième paire de yeux active sur la route et j’avoue que je m’en sors plutôt bien. Je vais mettre tout ça en pratique le mois prochain puisque cette fois-ci nous irons ensemble et ferons le voyage avec Andrew. Nous prendrons le vol Montréal-Toronto-Francfort, puis nous louerons une voiture qui nous mènera d’abord à Berlin où nous logerons chez le capitaine de l’équipe allemande qui nous a invité à y passer quelques jours. Ensuite nous partirons tous ensemble à Malbork en Pologne pour le tournoi de l’IMCF, ce qui signifie que nous allons faire beaucoup de route.     

mercredi 28 décembre 2016

Hiver 2015



De notre fenêtre à Ste-Adèle 
Cet hiver c’est assez occupé dans le monde du combat médiéval, en février nous avons les qualifications à Trois-Rivières auxquelles Benoit ne participe pas, car il attend l’armure qu’il s’est commandé auprès d’un armurier d’ici. Il a reçu une belle somme d’argent au début janvier, avec ses placements «obligés» de sa pension d’Air Canada. Les pièces avec lesquelles il se battait, ont été récupérées par les combattants qui veulent participer aux qualifications. Benoit de toute façon est conscient qu’une infime partie des gars qui feront les «qualifs» ira jusqu’au bout du trip, il est confiant qu’il fera partie de l’équipe. Nous y allons tout de même, ne serait-ce que pour prendre un bain dans le milieu et rester sur la touche. Benoit sera arbitre et juge avec d’autres membres du CA, tous les combats étant filmés, ils seront ensuite décortiqués chacun de leur côté et évalués, puis les juges se réuniront pour l’évaluation finale. À ces qualifications, nous avons pu voir évoluer les deux seules filles qui ont commencé à faire elles aussi du combat, mais pour le moment, elles ne font que les duels, puisqu’il n’y a pas assez de filles pour faire une équipe de béhourd et encore moins une deuxième équipe contre qui se battre. Je peux constater aussi que les jambières que j’ai faites à Bénédicte tiennent le coup, elle et Gabrielle ont reçu un entraînement avec d’autres membres de leur groupe de la part de Benoit. Ce dernier a une approche différente des autres combattants, et malheureusement certains restent prostrés dans leurs idées toute conçues. Benoit a quand même José, Andrew, Phil dit «Slack», et d’autres occasionnels qui croient en ses méthodes pour les avoir essayé avec surprise et succès. En fait, Benoit est convaincu de la nécessité d’être très entraîné au niveau du cardio et de l’endurance et l’efficacité de se servir de son corps autant, sinon plus que de l’arme. Certains de ses détracteurs ne jurent que par les techniques martiales au maniement des armes, alors que Benoit use de techniques de lutte et de muay thaï.  Les autres demeurent convaincus qu’il suffit d’être gros et fort, quelques-uns continuant de manger n’importe comment et fumant comme des cheminées, ce qui a le don d’exaspérer Benoit. Ses entraînements sont très difficiles, y en a pour dire qu’ils sont inutiles mais j’en suis convaincue c’est surtout un manque de courage et peut-être un soupçon d’orgueil qui les retient d’accepter ce que Benoit a à offrir. Toutefois, ceux qui acceptent cette souffrance bénéficie de la réussite qui vient avec et sont de loyaux élèves. Même si Benoit affiche une certaine désinvolture par rapport à ce qui se dit dans son dos, c’est un petit milieu où tout finit par se savoir, il est blessé. Et moi je fulmine, je vois tout ce qu’il déploie comme énergie, à quel point il veut faire avancer ce sport plus loin pour qu’on le prenne au sérieux, lui comme moi en avons marre de devoir toujours expliquer et justifier ce sport en tant que «sport» sérieux.


Moi j’ai mis fin à mon doctorat faute de finance, je me dis que si un jour j’y retourne j’aurai complété mes séminaires et je pourrai entrer en recherche et rédaction, mais ça ne se dessine vraiment pas dans cette direction. J’ai eu une discussion avec mon directeur de thèse, le même que pour mon mémoire de maîtrise, et lui avoue ce que je vis actuellement, dont les impossibilités de poursuivre, mais je lui dis aussi que ça me désole vraiment beaucoup puisque mon sujet est déjà inscrit à l’université et que je trouve absolument fantastique de naviguer dans cet univers du béhourd. Il me rappelle que je n’ai pas besoin d’avoir mon diplôme de doctorat pour pouvoir poursuivre mes recherches et écrire à propos de ce sujet. Mes restrictions se limitent au fait que je ne peux écrire sous la tutelle de l’Université de Montréal. Sinon, les limites c’est souvent nous qui nous les mettons. Il a tout à fait raison et puis, je n’aurai pas de restrictions académiques qui alourdissent la lecture et découragent trop souvent les lecteurs. Moi j’adore le récit et je me dis que c’est encore la meilleure façon de faire découvrir, d’initier et d’intéresser les gens.

Quelques semaines après les qualifications, a lieu le tournoi hivernal, cette fois Benoit va pouvoir y participer, moi je viens tout juste de lui fabriquer un gambison et l’armurier qui est aussi un combattant lui apportera une partie de son armure le matin du tournoi. C’est pas l’idéal puisqu’il n’aura pas eu le temps de la porter et d’ajuster s’il y a lieu, mais bon, nous n’avons pas beaucoup le choix,

Le tournoi hivernal a lieu cette fois dans un endroit différent, j’ignore pourquoi ils ont choisi cet endroit qui n’est à mon avis pas un bon choix. Bien que ce soit dans un centre sportif, le tournoi est difficilement accessible, déjà qu’il n’y a pas eu beaucoup de publicité de faite. C’est au centre-sud de Montréal où circuler en voiture est héroïque en soi, puisque ce n’est que détours et sens uniques. Il n’y a pas de stationnement pour les combattants qui ne peuvent traîner leur équipement en transport en commun et une bonne partie d’entre eux viennent de l’extérieur. En plus les rues sont super étroites et ne permettent pas de passer deux voitures de large, donc quand on sort les armures de la voiture, les automobilistes doivent attendre derrière. Le tournoi a lieu au sous-sol et si ce n’était du va et viens des combattants, des pièces d’armure dans les mains, la clientèle régulière sur place ne saurait même pas qu’il y a un tournoi en bas. C’était plus ou moins clair, si on devait être costumés ou non, donc je n’ai pas pris de chance et j’ai amené une robe et mes souliers historiques, ceux que je me suis acheté à la course avant de partir à Battle of the nations il y a deux ans. Ce sont les seuls que j’ai, mais ils sont vraiment confortables.



La veille au soir, Benoit devait trouver des cordons de cuir pour attacher certaines pièces de son armure et nous nous sommes rendus compte que mis à part Tandy à St-Léonard, le cuir et le matériel pour le travailler est dur à trouver sur l’île. Et comme nous dormions sur le Plateau, on n’avait pas envie d’aller faire une heure de voiture pour des cordons en cuir, pour essayer désespérément de nouveau de se trouver un stationnement au retour, quand finalement Benoit a eu un éclair de génie, il connaît un p’tit monsieur cordonnier indépendant super sympathique sur Mont-Royal. Une p’tite marche 15 minutes et il a des cordons de cuir pas cher.

Sur place, on retrouve les Américains, les Ontariens, et les équipes de différentes régions du Québec, d’abord, les Black Wolves du Nord, l’équipe de Benoit, Andrew, José, Serge, Slack, et d’un p’tit nouveau Vincent, toutefois Serge n’en fait plus vraiment, José et Slack s’entraînent avec l’équipe sporadiquement, mais ne font pas les tournois. Les autres équipes sont les Dogues de Montréal, les fils de Laviolette de la région de Trois-Rivières et deux équipes de la région de Québec, les Patriotes et les Wakinyans.

Encore une fois, c’est dommage, il y a beaucoup plus de monde du côté des combattants et des bénévoles que de spectateurs dans la salle.  La musique n’est pas invitante non plus et je dois avouer que ce tournoi m’emballe plus ou moins, je suis peut-être devenue plus critique après en avoir vu deux à l’International, et là ici dans ce gymnase, je ne suis guère emballée. Benoit a de la misère avec certaines de ses pièces d’armure et panique, et quand il panique faut savoir gérer, moi je ne gère pas toujours bien, donc je m’éloigne un peu.

Blessure du tournoi hivernal

D’ailleurs, depuis quelque temps, on commence à se demander s’il ne serait pas un peu TDAH (Troubles déficit d’attention avec hyperactivité), y a beaucoup de choses qui s’expliqueraient soudainement : Difficulté à se concentrer sur une seule chose; une perception différente dans la gestion du temps; et la perte temporaire et quotidienne d’objets tels que portefeuille, lunettes et clés. Ce qui l’amène parfois sur le bord de la panique, puis il culpabilise ensuite d’échouer sur des affaires aussi simples, créant beaucoup d’anxiété et des désordres digestifs. Y en a pour qui le trouble TDA et TDAH se vit de l’intérieur, et y en a comme Benoit très expressif, qui explose! Il parle beaucoup et son débit normal est souvent rapide et fort et est à mes yeux clairement hyperactif. Quand il réalise que son armure n’est pas tout à fait au point et qu’il doit se dépêcher, il panique et me transmet sa panique et je sais qu’il culpabilise de n’avoir pas fait tout ça avant. Un moment donné, je demande à Andrew de prendre la relève pour attacher son armure, faut que je prenne de l’air, et je sais que je vais probablement regarder leurs rounds de loin. Je trouve ça un peu lourd.

Je l’admets, je n’ai pas été très attentive aux combats lors de ce tournoi. Je suis soucieuse de la santé de Benoit, il a du mal à pouvoir s’alimenter sans que son corps se rebute. Forcément ça le rend vulnérable aux maladies et bien qu’il déploie une énergie spectaculaire à ses entraînements (ce qui m’hallucine à chaque fois que j’en suis témoin) je me dis qu’un moment donné il va s’écrouler complètement. Depuis quelques années nous nous sommes rendus compte qu’il avait des réactions allergiques au soya, certaines composantes du soya, le pire étant la protéine de soya qui le rend extrêmement malade. Et la protéine de soya, on en retrouve PARTOUT dans la bouffe, tous les jours il est inconfortable, jamais physiquement numéro 1. Bien sûr, il pourrait aller voir un docteur, mais nous savons bien qu’il doit d’abord réussir à en voir un, évidemment en urgence car nous n’avons pas de médecin de famille, qu’ensuite il se fera donner des prescriptions pour passer une série de tests interminable, des tests vraiment pas agréables, et qu’on devra attendre une éternité pour avoir les résultats. Nous nous doutons que le problème est d’ordre alimentaire, faut juste trouver ce qui cause des problèmes au-delà de la protéine de soya, car parfois il ne digère même pas une simple salade, vinaigrette maison. Il ne digère pas correctement la moitié de ses aliments, donc en ne s’alimentant qu’à moitié, son corps manque de nutriment en permanence et ça l’inquiète et fait vivre davantage de stress et quand il stresse, il ne digère plus. Ça commence à dépasser le système de digestion capricieux. Est-ce un symptôme du TDAH? On se documente beaucoup. Déjà il a commencé à prendre des probiotiques, conseil d’une amie qui vit les mêmes problèmes de digestion, et ça aide beaucoup. On teste beaucoup et on demeure attentifs à ce qui passe et ce qui ne passe pas.

Il travaille depuis un mois dans une compagnie de ressources humaines, il a un bon emploi, quand même bien payé, mais c’est dans l’ouest de Montréal et nous sommes à Ste-Adèle, ça coûte une fortune d’essence et ça bouffe des heures précieuses dans une journée, gaspillées dans le trafic du matin et du soir. Il ne peut pas s’entraîner aussi souvent qu’il le voudrait. On prévoit éventuellement retourner à Montréal et que je puisse être en mesure de me déplacer en transport en commun et me trouver un emploi, parce que dans la montagne dans les Laurentides c’est assez difficile quand tu ne conduis pas. Son travail le valorise un peu, car il est en charge de quelques centaines d’employés qu’il forme dans les entrepôts. Cependant, cet emploi entre en contradiction avec ses principes de valeurs humaines, car une compagnie qui fait son argent sur les salaires des employés a la fâcheuse tendance à les exploiter.  


mardi 27 décembre 2016

Automne 2014


Ça faisait deux mois que j’étais de retour et la malchance s’acharnait sur Benoit. En effet, après avoir brillamment réussi tous ses examens et être revenu à Montréal pour finaliser sa formation, il s’est trouvé au sein d’un conflit entre la direction du CN à Montréal et à Winnipeg. Le conflit concernait les formateurs à Montréal mécontents que le volet théorique se fasse à Winnipeg et non à Montréal. Alors les formateurs à Montréal se sont arrangés pour discréditer et faire échouer plusieurs des finissants de Winnipeg dont Benoit, et ainsi pouvoir prouver que la formation théorique à Winnipeg était inadéquate. Comme le formateur de Benoit à Montréal était aussi le chef du syndicat, il était condamné d’avance. Il se retrouve une fois de plus sans emploi. Complètement déprimé et la valorisation personnelle à moins 10, il accepte l’offre d’un ami qui travaillait comme conseiller financier chez Manuvie. Il fait une super formation intensive durant l’été et commence à l’automne, un emploi payé uniquement à commission sans aucun salaire. Mais certains de ses collègues lui font miroiter un avenir prometteur où il croulera sous l’argent. Tsé un moment donné l’espoir fait vivre. Mes contrats avancent mais pas suffisamment, j’envoie mon CV, comme à chaque année dans tous les cégeps et cette fois-ci je ne me limite pas à Montréal, Laval et Longueuil. J’élargie mon cercle en me disant qu’au pire, je me trouverai une chambre pas loin ou je voyagerai en autobus. J’ai aussi mon emploi d’auxiliaire d’enseignement à l’université qui me permet de toucher un tout petit salaire, celui-ci consiste à faire de la surveillance et de la correction d’examens pour mon directeur.  

On est tellement sûrs que ce n’est qu’une question de semaine avant que je ne trouve quelques contrats d’enseignement plus réguliers et que Benoit commence à faire des très gros salaires…on vit en suspension, en attente. Tous ses collègues au bureau sont étonnés, et le trouve vraiment bon «espoir», mais les gros contrats lui échappent…«désespoir». Comme notre loyer est excessivement cher, on se retrouve rapidement dans un gouffre financier, et même avec toute la volonté du monde, nous sommes conscients que nous ne pourrons pas nous en sortir. Benoit en parle à ses parents qui nous proposent de nous prêter leur condo à Ste-Adèle puisqu’eux-mêmes partent chaque année pour le Mexique pendant six mois. Et comme ils partent justement le mois prochain, pourquoi ne pas nous arranger avec notre propriétaire et casser notre bail, déjà qu’on vient de se rendre compte qu’il y a des souris et anyway on ne peut plus vraiment le payer. Ce qui se règle en moins de deux, lui-même a tenté à quelques occasions de nous inciter à partir, par exemple après l’incendie, pour rénover et donner l’appart à son fils. Donc il est très heureux et nous dit que nous n’avons pas besoin de payer le dernier loyer…si nous quittons dans deux semaines. Et c’est pourquoi nous sommes actuellement logés à Ste-Adèle avec une partie de nos affaires, les plus importantes, nos meubles vendus et du stock dans le sous-sol d’une amie.

Bien sûr, partir de Montréal est un déchirement pour nous, tout notre monde est là particulièrement mes grands enfants et nous y vivions depuis 17 ans, mais on se console, on va se remettre sur pied financièrement, Benoit peut travailler à partir de la maison, moi je peux continuer mes contrats et Angus pourra se balader en montagne. Le condo est aussi très confortable et nous ne remercierons jamais assez mes beaux-parents pour cet incroyable filet de sureté tendu pour nous rattraper. Mais comme un foutu malheur n’arrive jamais seul, deux semaines après qu’ils furent partis, Angus notre chien que l’on chérissait depuis neuf ans, qui était d’une certaine façon notre troisième enfant est subitement tombé malade, les reins, et après le diagnostic catastrophique nous avons dû nous résigner à le faire euthanasier la mort dans l’âme. Aujourd’hui je comprends cette expression parce que c’est vraiment une partie de mon âme qui est partie avec lui. Je n’ai jamais pleuré autant et pourtant Dieu seul sait à quel point j’ai versé des larmes dans ma vie. Moi et Benoit sommes profondément affectés, c’est le clou final, tout notre espoir tient dans la solidité de notre couple qu’on protège comme le plus grand trésor au monde. Chaque jour on s’accroche, on se dit qu’un moment donné le soleil brillera de notre bord mais par chance, nous avons la famille et les ami(e)s qui ne sont jamais loin. Dans notre malheur, des personnes se révèlent être de véritables anges gardiens, qui tiennent notre fardeau un moment, le temps de reprendre notre souffle. Heureusement, ayant eu un restaurant y a plusieurs années, et monoparentale aux études pendant quelques années, j’ai appris à cuisiner vraiment bon, santé et pas cher, donc je fais des miracles avec notre peu d’argent et le congélateur rempli par mes beaux-parents avant de partir. En ajoutant l’essence qu’on sauve en restant à la maison, c’est à peu près l’équivalent d’un salaire.


Dans quelques semaines, Benoit devra se rendre à l’Assemblée générale de l’IMCF à Malbork en Pologne en tant que représentant de la FQCM, ça changera le mal de place comme on dit. Il sera accompagné encore une fois du nouveau capitaine Andrew. Comme l’an dernier la FQCM fait de grosses économies, le prix des billets (de Benoit) pour Gdansk, plus la location d’une voiture pour les amener à Malbork, plus leur chambre d’hôtel, plus leur repas, coûte à peu près le prix d’un seul billet d’avion au prix régulier. Le prochain tournoi aura donc lieu là-bas, au printemps 2015 et il est hors de question que nous le manquions. C’est notre dernière particule de rêve et on s’y accroche très fort, le prix de nos billets nous permet d’y croire facilement. On nous a dit que le coût de la vie n’y est vraiment pas élevé, donc se loger et manger ne devrait pas coûter plus cher que ce qu’on paie déjà ici. Benoit peut se battre, il a quelques pièces empruntées de combattants qui ont un peu lâché le sport, déjà on va voir ce que ça donne comme équipement lors du prochain tournoi hivernal en février. Et même si la FQCM organise des qualifications pour décider qui se battra pour l’Ost au tournoi mondial, nous sommes bien conscients qu’un trop petit nombre de combattants prêts à faire le tournoi rend caduques ces qualifications, au fond, ceux qui iront sont ceux qui voudront ET pourront faire le voyage. 

jeudi 22 décembre 2016

Belmonte partie finale


Sur mon chemin je croise Andrew qui arrive du meeting des capitaines et il a l’air un peu perturbé, sans que j’aie eu le temps de lui demander pourquoi, il me raconte que l’équipe des Belges était en furie au meeting ce matin et avec raison puisque pendant que lui et son équipe étaient partis manger au village hier soir, quelqu’un avait pris un de leur bol sur leur table et avait déféqué dedans en remettant le bol sur leur table, il avait aussi pris leur drapeau, l’avait piétiné et jeté par terre. La capitaine belge avait apporté ce matin le bol en question en demandant des comptes. Tous les autres capitaines étaient mal à l’aise ou comme Andrew un peu perturbé par une telle insulte, comme moi il se disait que c’était inacceptable et que l’organisation devait faire quelque chose, ne serait-ce que de dire avant le début de la cérémonie de clôture qu’un tel comportement ne reflétait pas la philosophie de l’IMCF. Mais l’équipe belge est petite, et n’a malheureusement pas tellement de levier, je trouve ça tout à fait injuste, parce que si c’était arrivé aux Américains ou à une autre équipe comme la Pologne, l’Allemagne ou la France, ça aurait été catastrophique comme accident diplomatique, et l’insulte n’aurait tout simplement pas passé.

Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, Andrew me raconte aussi que la veille, il y a eu un autre accident diplomatique avec des sous contractants de la télé BBC qui venaient faire un mini clip publicitaire à propos de l’événement. En effet, le scénariste avait monté un petit topo où l’équipe gagnante à la fin du tournoi, est déclarée le « roi de l’année » et où le titre est remis en jeu l’année suivante. Tout d’abord, même si l’équipe qui domine jusque-là, est l’équipe américaine, le tournoi n’est pas encore terminé. Le scénariste confiant demande à toute l’équipe américaine de prendre la pause de triomphe, debout, et demande à d’autres combattants de diverses équipes de s’agenouiller soumis, devant les victorieux, et propose que l’équipe allemande arrive pour attaquer comme pour rafler le titre de roi de l’année, puisqu’elle était la deuxième équipe jusqu’à maintenant dans les victoires. Donc une façon d’annoncer leur revanche l’année suivante.

D’abord, personne ne voulait s’agenouiller et les Américains étaient visiblement mal à l’aise, ils disaient au scénariste de laisser tomber l’idée et de l’autre côté disaient aux autres combattants qu’ils n’étaient pas d’accord, que ce n’était absolument pas leur idée. Mais le scénariste au lieu d’avoir la délicatesse de comprendre, répliquait d’arrêter de faire les bébés et que c’était une super bonne pub pour eux. On a même entendu parler d’un Américain qui en aurait braillé de honte sur un campement, toutefois l’histoire ne dit pas si c’était tard le soir sous l’effet de l’alcool.  Toujours est-il que je n’ai jamais su le fond de cette histoire, mais je n’ai jamais vu la pub en question. Je pense que cette compagnie sous contractante a manqué profondément de jugement et de perspective, mais surtout de tact vis-à-vis l’inconfort de la situation qu’ils avaient eux-mêmes créé.

Le campement s’anime au fur et à mesure que la journée avance, la remise des médailles et ensuite la cérémonie de clôture vont bientôt avoir lieu, mais aussi les tentes se défont, des kiosques se démontent, tranquillement mais sûrement. Ce soir il y a un gros party donné au campement des Allemands, et tout le monde est invité, mais plusieurs équipes seront déjà parties ou seront couchées tôt parce que la navette part vers 5:00 heures du matin. Les Québécois ont loué deux voitures et partent très tôt demain matin aussi, mais nous allons souper tous ensemble au village.
Cette fois, Janik n’a pas tellement le choix de dormir sous la grosse tente avec moi, la tente des Québécois doit être démontée en fin d’après-midi car elle repartira avec ses propriétaires, les Danois, et je pense bien que ça fait son affaire de «s’endormir» dans une température moins glaciale ou du moins à l’abri du vent. Nous devrons nous lever quasiment au milieu de la nuit, remonter l’escalier infernal avec nos bagages et prendre la navette qui attendra dans le stationnement là où elle nous avait laissé cinq jours plus tôt.

La remise des médailles est particulièrement longue sous le soleil de plomb et on envie les dignitaires de Belmonte qui sont assis confortablement dans des estrades comme on en avait lors des tournois au Moyen âge, c’était là où la famille royale pouvait suivre le tournoi. Des sièges confortables mais aussi un grand auvent qui procure de l’ombre une bonne partie de la journée. Des chanceux sont installés dans les estrades normales et tous les autres sont debout autour de la lice ou grimpés sur les remparts d’où quelques individus sont tombés depuis le début du tournoi. Ironiquement, lors de ce tournoi de sport extrême, la majorité des blessés ont été répertoriés chez les spectateurs, tombés des remparts ou trébuchés dans les fameux escaliers, et je ne suis même pas dans les statistiques. Pas de coups de chaleur apparemment, bien sûr, ils sont habitués au soleil, d’ailleurs personne ici ne semble s’en soucier, les enfants sont nu-tête et je ne serais pas surprise qu’ils n’utilisent pas de crème solaire. Mais aujourd’hui, ici, y a tout un tas de visages, de cous, de bras rougis et suant de combattants qui viennent du nord et qui attendent que les nombreux discours interminables s’achèvent.

Nos gars ne rapportent pas de médaille cette année, mais ils s’en sont très bien sortis. Dans les duels nous avions Régis à l’épée et bouclier qui a dû malheureusement s’incliner et Étienne qui a terminé en quatrième place à l’épée longue. Pour le béhourd, dans le 5 v/s 5 ils ont affronté la Pologne contre qui ils ont perdu en trois rondes, contre le Danemark où ils ont gagné en deux rondes, et ont affronté le Royaume Uni dans une lutte serrée en trois rondes pour une place en demi-finale. Ils ont dû finalement s’incliner. Les grands champions sont les Américains suivis des Allemands.

Quand la cérémonie de clôture se termine, les spectateurs gravissent la pente tandis que le soleil lui descend doucement pour éclairer de mille feux une dernière fois ce tournoi qui prend fin. Tous les combattants regagnent leur campement, étirant au maximum ce moment de franche camaraderie. Vous vous rappelez le «méméring post combat-pré bye bye»? Certains y mettent plus de temps que d’autres, il y a Andrew que nous attendons sur le site où étaient installés les trois tentes et tout notre campement médiéval, il y a deux heures encore. Maintenant il ne reste que la grosse roche sur laquelle je suis assise. Les gars ont été mettre leur stock et leurs armures dans la voiture, pour ne pas avoir à le faire demain matin, ils prendront aussi la navette, laissant au conducteur le soin de ramener les armures à l'aéroport. Nos bagages à moi et Janik sont dans la tente de Saladin, par chance, qui ne sera défaite et emballée que plusieurs heures après que nous soyons partis. Jan Olivier et ses acolytes partiront en camion et remonteront au Nord en Allemagne dans la journée.
Nous attendons Andrew….


Silvia vient me saluer chaleureusement, avec des promesses d’au revoir. Julien qui me montre une photo de sa fille et à qui je montre une photo de la mienne, il connaît Janik déjà. Xavier sur son départ me montre quelques photos qu’il a pris, dont celle de mon fils portant le fleurdelisé et me promet de m’envoyer ça. Les amis belges viennent trinquer quelques gorgées de bières délicieuses de chez-eux et on échange un peu à propos de l’incident, tous d’accord pour dire que c’est odieux.

Et on attend Andrew…

D’autres combattants viennent saluer les gars de l’Ost, s’échangent récits, photos, facebook, etc.
Le soleil est presque complètement descendu et nous attendons toujours Andrew. Ce qu’il y a c’est que tout d’abord, comme je l'ai déjà dit, il est le seul Québécois à avoir fait tous les tournois jusqu’à maintenant,  il commence à connaître tout le monde et avec sa stature qui ne passe pas inaperçue, tout le monde le connait. Mais par-dessus-tout Andrew adore mémérer, on le sait tous et si nous désespérons qu’il arrive car nous mourrons de faim, lui pourrait être encore là demain matin, tant qu’il y a quelqu’un avec qui parler. Nous mandatons Régis de partir à sa recherche convaincus qu’il sera l’homme de la situation, et voilà qu’il le ramène au bout d’une dizaine de minutes.

Nous descendons tous ensemble au village vers un petit restaurant qu’eux connaissent et qu’apparemment ils ne sont pas les seuls à y avoir mangé car il y a pas mal de monde, autant la population locale que des combattants. Les serveurs et serveuses s’en sortent plutôt bien entre les petites familles en sortie dominicale et une gang de gaillards étrangers qui parlent fort et gesticulent beaucoup, encore sur l’effet de l’adrénaline de l’événement. Nous commandons des burgers et des pizzas, et les deux nouveaux Yan et Nicolas sont un peu perplexes devant leur burger servi avec un œuf miroir sur la boulette.

Évidemment, les conversations reprennent d’une table à l’autre, moi je suis surtout attentive à ma pizza, je mange mon deuxième véritable repas de la semaine. En fait c’est la première fois que je mange vraiment jusqu’à ne plus avoir faim, toute la semaine, je grignotais ou je mangeais un sandwich pris dans un kiosque. Le repas sous la tente était excellent mais un peu cher pour mon budget qui était très serré, demain, nous irons probablement encore au McDo de l’aéroport avant de prendre notre avion qui est en fin de journée. On va avoir beaucoup de temps à perdre! J’ai pu avoir un peu de connexion wi-fi plus tôt et j’ai pu raconter mon expulsion à Benoit, ce qui l’a fâché car on lui avait certifié plusieurs fois que c’était pour la semaine. Il a bien l’intention de mettre les choses au clair avec Cristian.

Bon je suis rassasiée, mais je suis surtout fatiguée et je n’aspire qu’au dodo, je n’ai pas le courage de faire le tour de tout le monde, j’avertie Andrew de ne pas oublier d’être là à l’heure pour la navette. Moi et Janik nous nous poussons comme des voleurs, après avoir payé bien sûr. J’ai jamais aimé ces moments où on doit s’en aller et qu’on doit aller saluer tout le monde. C’est bête non? Je suis souvent inconfortable, je suis un peu antisociable parfois. Je voudrais juste aller embrasser et saluer, les personnes que je veux, celles qui comptent le plus pour moi, mais du coup, les autres, celles que je ne vais pas voir me trouvent bête j’imagine. Et puis, y a celles qu’on a juste envie de saluer au loin pouce levé, celles qu’on aimerait juste serrer la main et celles qu’on voudrait serrer fort dans nos bras. Mais il existe une certaine éthique de bienséance quand même et puis moi qui suis, comme le dit toujours Benoit, le saumon qui nage à contrecourant. Et par-dessus tout je n’aime pas les «au revoir» parce que je n’aime pas les «fins», ça me rend inconfortable. C’est pourquoi, je quitte très souvent des fêtes de famille ou d’amis à la sauvette en cachette, je m’en confesse.

Quand mon alarme sonne à 4:00 heures du matin, c’est presqu’un soulagement tellement j’ai mal dormi à cause du froid et parce que chaque heure qui passe me rapproche de mon retour et donc du moment où je retrouverai mon amoureux. Nous ramassons nos bagages et moi je désespère avec mon immense valise rigide de 23 kilos qui roule super bien dans un aéroport mais qui est un châtiment à porter autrement. Dans le noir, dans les escaliers en pente à moitié endormi, je n’y arriverai jamais! Et là Jésus apparaît sous les traits de Kim notre nouvel ami qui me prend ma valise pour la monter tout en haut, j’en pleurerais de bonheur, au fait peut-être que j’ai versé quelques larmes discrètement en grimpant derrière lui, en le remerciant à profusion! Lui en tout cas je lui ai fait un gros câlin avant de le quitter pour embarquer dans le gros autobus et j’ai dormi enfin au chaud, ouvrant de temps à autre un œil pour enregistrer un minimum de paysages du centre de l’Espagne sur ma rétine au soleil levant pour me rendormir aussitôt.

Arrivée à l’aéroport, on s’extirpe de l’autobus, et marchant tels de véritables zombies jusqu’au McDo et prenons un petit déjeuner tout en étant conscient, qu’on va probablement diner ET souper aussi ici, puisque notre vol est à 19:50 heures. Par chance, nous ne sommes pas seuls, à la table d’à côté il y a un petit groupe de Polonais portant encore leur chapeau de paille et chemises défraîchies médiévales qui attendent aussi leur avion. Nous passons finalement la journée tous ensemble dans le McDo, par chance dans un aéroport c’est courant de passer plusieurs heures dans un restaurant à attendre son avion, donc personne vient nous demander de partir. Mais disons qu’on va se chercher stratégiquement à toutes les heures de la bouffe et… de la bière.

Nous avons tellement de gros bagages, nous sommes huit de notre groupe, mais on occupe la moitié du restaurant, c’est un peu gênant au début, mais quand la fatigue commence à se faire sentir, la gêne a pris le bord. Vers 17:30 heures, nous partons enregistrer nos bagages, en espérant qu’ils ne les perdent pas en chemin, Andrew est en surplus car il a acheté des trucs, il doit donc payer une vingtaine d’euros, il a aussi acheté une bouteille d’alcool dans une boutique de l’aéroport AVANT de passer la sécurité. Évidemment quand on passe l’inspection, y a des pourparlers avec des employés qui ne parlent ni français et ni anglais, mais comme ils reconnaissent l’emballage de la boutique, il le laisse passer avec sa bouteille.

Nous sommes fatigués, mais heureusement, nous avions réservé une chambre à l’hôtel adjacent l’aéroport Charles de Gaules, où nous atterrissons et d’où nous partirons, ce qui signifie, pas de maux de tête! Nous avons pris une chambre avec deux lits doubles pour nous trois, ça nous sauve des sous. Nous allons manger un morceau dans un petit resto adjacent au hall de l’hôtel et le serveur qui est aussi le cuisinier quand y a peu d’achalandage reconnait notre couleur québécoise et il devient immédiatement sympathique avec nous. Il voudrait bien continuer de jaser avec nous mais nous sommes crevés, nous le quittons poliment et remontons prendre notre douche, faire un peu de skype avec Benoit, puis nous dormons sans entendre les ronflements d’Andrew qui sont normalement spectaculaires. C’est pour dire qu’on dormait solide!

Lorsque nous nous levons au petit matin, nous descendons prendre le petit déjeuner en bas, offert par l’hôtel pour quelques euros supplémentaires tu bouffes à volonté, ça vaut vraiment la peine. Notre avion est à 13:30 heures, nous n’aurons pas de repas avant 14:30-15:00 heures, donc profitons maintenant de l’abondance! Janik et Andrew s’empiffrent, et même moi qui normalement ne finis jamais mon assiette, je mange avec beaucoup d’appétit. Vers 10:00 nous sortons pour aller enregistrer nos bagages tranquillement et même si Benoit nous a dit qu’il restait encore de la place sur le vol, y a toujours des risques. L’un des scénarios serait qu’il ne reste qu’une ou deux places, comme nos invités sont nos invités car ils doivent être sur le même vol que Benoit ou moi qui étant son épouse je profite des mêmes avantages que lui. Je peux voler seule et je peux avoir un invité qui paiera tout de même quelques centaines de dollars de plus que nous, mais personne d’autre que moi et Benoit, ne peuvent voler seul avec les billets de Benoit. Donc, ça signifie que s’il ne reste pas suffisamment de place, personne n’embarquera, à moins de les laisser derrière, mais non on n’est pas des vilaines personnes.

Finalement on embarque sans problème! Dans l’avion qui nous ramène, j’écris et réfléchie sur notre prochain tournoi dont on ne connait pas encore la destination. Définitivement faudra qu’on y aille ensemble moi et Benoit, il doit avoir une bonne armure et participer pour de bon, nous allons travailler activement là-dessus. En ce qui concerne mon sujet de recherche, je suis encore plus dans la brume, y a tant d’avenues à explorer. Bien sûr ce sport m’intéresse de plus en plus, mais je réalise que s’il m’intéresse autant c’est à travers sa dimension humaine individuellement et collectivement. Je suis fascinée devant la dimension politique inévitable de par la quantité de pays participants; des conflits internes dans les équipes, dans l’organisation; les perceptions différentes oscillant entre le souci d’historicité par les Européens et l’approche sportive moderne des pays plus jeunes comme en Amérique ou en Nouvelle-Zélande, mais aussi du Japon, il y a aussi une question de praticité dû à la difficulté de se procurer facilement à moindre coût du matériel «historique» et de devoir tout transporter par avion. Ironiquement c’est un sport naissant, un sport «renaissant» qui existait au Moyen âge et qui gagne à être connu puisque la majorité des gens à qui j’en parle associent l’idée de se battre en armure uniquement à la guerre. L’imaginaire collectif en est si imprégné, que beaucoup ont du mal à adopter l’idée d’un sport comme le football ou le rugby, à moins d’en avoir été le spectateur et encore là…  


Une chose est certaine, c’est un terrain absolument extraordinaire pour un anthropologue, plus j’en apprends et plus je m’enfonce sur les sentiers de la connaissance de cette activité humaine qui rassemble plusieurs centaines d’individus de partout dans le monde, qui se balancent un peu de la barrière de la langue puisqu’ils sont liés par une même passion et vivent des réalités semblables. Ce voyage m’aura fait prendre pleinement conscience, que je veux vraiment continuer dans cette direction et avec Benoit qui y prendra part sérieusement dans les prochains mois, j’aurai une fenêtre encore plus ouverte sur ce sport, étant témoin direct et privilégié puisque je le vis au quotidien avec lui. Je m’endors en me disant que mine de rien on fait toute une équipe moi et lui!   

Observez la muraille comme elle bondée!
                                       

mardi 20 décembre 2016

Belmonte 2ième partie

J’avais du sommeil à rattraper ça a ben l’air et maintenant je me sens beaucoup mieux. Ma fenêtre est ouverte et je peux sentir malgré le soleil du matin qui brille, l’air vif et piquant du restant de la nuit. Je vois que plusieurs dizaines de personnes attendent déjà à l’entrée derrière les barricades gardées par des employés vêtus de costume médiéval, ça veut dire qu’on ne pourra pas trop tarder à sortir de notre chambre. Je réveille 14 fois Janik pour lui rappeler qu’il y aura bientôt des visiteurs et qu’on doit se lever, il finit par obtempérer. Je ramasse mon stock comme hier, mais cette fois j’ai bien l’intention d’aller prendre une douche à l’hôtel et je descends dans le petit café dans le hall du château. Je me commande un café, j’ai le choix entre un espresso ou un espresso avec lait, je choisis la seconde option et c’est à ce moment-là que je bu le meilleur café de ma vie! J’en commande un deuxième aussitôt, car ils ont ouvert les portes et je sens que le serveur sera vite débordé, je ne prends donc pas de chance.

Pendant que je finis mon premier café et que j’entame le second, Janik descend et découragé de voir qu’il devra faire la file pour un café, décide de s’en aller directement sur le terrain et de prendre son café dans la tente de Saladin, en plus il ne le paiera même pas. Moi je continue de siroter cet élixir divinement bon et ressens la vie qui recommence à habiter mon corps. J’envoie un coucou à mon amoureux mais comme il est au beau milieu de la nuit et qu’il a des examens importants à faire aujourd’hui, il n’est pas connecté et doit être en train de dormir. Je prends à mon tour le chemin des campements et arrivée à la tente de Saladin, Janik vient me voir les yeux brillants : « Mom, ce matin ils avaient hissé le drapeau du Canada aux côtés du fleurdelisé et des drapeaux des autres équipes, je suis allé voir Andrew et lui ai dit.» Et voyant mon air de profonde indignation, il ajoute : « T’inquiète, il n’y est plus, Andrew est allé voir l’organisation et leur a rappelé qu’il n’y a pas d’équipe canadienne dans le tournoi et leur a dit que s’ils ne le retiraient pas, le drapeau imposteur allait disparaître dans la nuit.» Je souris, je le remercie, je suis fière de mon fils. Lui aussi est fier de son identité québécoise.

Après avoir discuté un peu avec des nouveaux amis français Xavier et Silvia, et par bonheur retrouvé mon ami français Julien, je pars en expédition, d’abord m’acheter un chapeau de paille, ensuite retrouver l’Ost pour remercier Andrew et pour leur demander leur clé, aller au petit magasin général, puis aller prendre une douche au village. À mon retour je ferai un tour des kiosques alignés le long du chemin, en majorité espagnols.  Ça va me prendre tout l’avant-midi et même plus, mais quand y faut, y faut!

L’après-midi était largement entamé quand je reviens au campement des Québécois, j’avais traversé le village désert de ses habitants, partis faire la siesta ou assistant aux combats plus haut. Je me sentais enfin fraîche comme une rose et portant du maquillage ‘’espagnol’’ parce que comme je l’avais observé depuis quelques jours, les Espagnols du moins à Belmonte semblent privilégier les produits d’ici. On ne trouve pas beaucoup de grosses marques dans les comptoirs d’épicerie et ni dans les produits hygiéniques et le maquillage, si tout le monde encourageait leur économie locale, tout irait tellement mieux partout dans le monde.

J’ai profité de ma balade pour prendre des photos de maisons de pierres et de moulins aux allures de cartes postales, on dirait que Don Quichote s’apprête à apparaître entre le muret et le moulin. Ça contraste tout de même avec l’hôtel d’où j’arrive de me doucher, qui est très moderne et tout maculé. N’empêche que ça a fait du bien!

Quand j’arrive, j’erre un peu dans le coin des kiosques où on retrouve plusieurs petits marchands et même certains improvisés pour l’événement, qui vendent des bières artisanales ou des pâtisseries probablement faites dans la cuisine de leur maison. N’empêche, les petits gâteaux sont succulents, pas cher et les vendeuses sont généralement fort sympathique. Y en a un qui vend des grosses pièces de viande salée ou des saucissons. Y a aussi un fauconnier, y a toujours un fauconnier dans les foires médiévales!

J’ai manqué les duels, et en allant porter la clé, j’apprends qu’Étienne s’est qualifié à l’épée longue, bravo! Les gars sont un peu tassés sur le campement et c’est normal, il y a quatre tentes de combattants sur un espace de 50 par 50 pieds et au milieu, une table à pique-nique que se partagent une bonne vingtaine de personnes, c’est pas bien long que le stock déborde un peu partout, la tente des Québécois, heureusement ne contient que leurs armures et c’est plein au ras-bord. Ils ne dorment pas sur le terrain contrairement aux Autrichiens et Japonais, mais c’est tout de même ici qu’ils se préparent et qu’ils reviennent enlever leur armure, laissant où ils peuvent, sécher leurs pièces de gambison au soleil. Les bancs sont à pleine capacité, de combattants qui cassent la croute ou qui réparent des pièces d’armure, certains sont étendus dans le gazon et imitent les Espagnols et font la sieste.

Je vais faire un tour sous la tente de Saladin, à l’ombre pour boire une bière fraîche. La musique n’est guère mieux que l’an dernier, si parfois on nous met quelques pièces grandioses tirées de films guerriers ou de conquête comme la musique «conquest of paradise» du film 1492 du compositeur Vangelis, nous avons droit la plupart du temps à de la musique rock ou moderne qui détonne avec le reste. Silvia me salue au passage et bifurque finalement pour venir me rejoindre. Julien se joint à nous aussi et on discute de politique et du président Hollande que Julien qualifie de couille molle ou quelque chose qui ressemble à ça. Janik et Kim, l’autre serveur viennent nous rejoindre, c’est plutôt calme compte tenu de l’achalandage constant depuis l’ouverture des portes ce matin, mais j’ai l’impression que ça va vite se remplir quand les combats se termineront vers 17:00 heures. Ça sent bon, le cuisinier, un ancien restaurateur allemand cuisine des plats de couscous et de poulet dans un racoin entre deux rideaux dans le fond de la tente, je le trouve pas mal ingénieux. Je me laisse gagner par les effluves et décide de manger maintenant mon premier véritable repas de la journée. 

À la tombée du jour, les marchands ferment leurs étals, les campements s’animent dans la préparation de repas, certains repartent au village pour trouver un restaurant ou tout simplement leur hôtel et les quelques endroits disponibles comme la grande tente de Saladin sont envahis pour nourrir les bouches affamées. Le temps se rafraîchie drastiquement à mesure que la nuit s’installe et si parfois quelques personnes font mine de festoyer, l’ambiance générale calme a tôt fait d’étouffer toute prétention aux débordements. Peut-être que ça brasse un peu plus dans le village, je l’ignore, mais pour ce premier soir de tournoi est tranquille, et je regagne tranquillement le chemin de ma chambre. Les escaliers ne sont pas bien éclairés et ce qui devait arriver arriva, évidemment, l’an dernier je m’étais péter le front, là je bêche magistralement. Mais une fois de plus, je garde ma dignité intacte, je suis seule, personne pour applaudir mon exploit. Me suis fait mal par exemple, je ne crois pas que c’est très sévère, je suis encore capable de marcher, mais tout de même…

Dans mon lit je réussis à parler un peu avec Ben via facebook, et lui raconte ma journée et ma débarque. Moi dans des escaliers taillées tout croche dans la terre derrière un château en Espagne, lui à écouter le hockey à Winnipeg avec la gang de collègues, il a beau ne pas suivre du tout le hockey, un moment donné, s’il veut casser la solitude aussi bien rejoindre les autres dans l’activité de la soirée. D’ailleurs il neige là-bas! Il a vu aussi avec le streaming qu’Étienne s’est qualifié et est soulagé de voir que tout semble se passer beaucoup mieux pour moi cette année, et qu’avec Janik à mes côtés je suis moins seule.

Le lendemain, on recommence notre p’tite routine et descendant les escaliers du château, je réalise qu’il ne subsiste pas trop de trace de ma mésaventure de la veille, tant mieux. Il semble y avoir deux fois plus de visiteurs aujourd’hui et je me dis que ça ne serait peut-être pas une mauvaise idée de venir jeter un coup d’œil ou deux à nos bagages au courant de la journée. Ils ne sont pas bien cachés, mais il est hors de question de descendre ma super méga grosse valise dans les escaliers de l’enfer pour la mettre dans la tente avec les armures de l’Ost. Je demanderai aussi à Janik d’y venir au moins une fois pour épargner quand même un peu mon pied et éviter de faire trop d’aller et retours.

Mais finalement un peu plus tard en début d’après-midi, lorsque je décide d’aller faire un petit tour de surveillance, y a tellement de monde que je décide de rester dans le coin et faire la navette entre la pièce qui servait de musée le jour et de chambre la nuit et le café dans le hall du château, elle aussi pleine de monde. Je finis par me trouver un coin et m’installe avec mon portable. J’ai de la chance j’attrape Benoit au lever du lit, il est d’ailleurs stressé, il a un gros examen super important, encore. Lui et ses collègues vivent énormément de stress, ils doivent être au-dessus de 90% à toutes leurs évaluation, qu’ils ont quasiment à tous les jours, sinon ils sont retournés aussitôt chez eux. On s’ennuie l’un de l’autre comme c’est pas permis, nous n’avons jamais été aussi longtemps séparés, ça fait un bon trois semaines qu’il est parti à Winnipeg et quand je reviendrai nous aurons encore une semaine à attendre avec impatience, ses quatre jours de congé. Et il repartira un autre quatre semaines pour revenir ensuite pour de bon, mon dieu qu’on trouve ça long, une chance qu’on a Internet.

Ce soir-là j’ai vraiment les blues et je ne suis pas d’humeur à me joindre aux autres, je ne serais pas d’une agréable compagnie, je fouille dans mon sac et trouve un sac de noix mélangées acheté plus tôt au kiosque de Jan Olivier. Je mangerai plus demain matin.

Ce matin, je suis plus d’humeur à voir du monde, nous ramassons notre stock et descendons à la tente directement, y a trop de monde dans le hall qui viennent d’entrer et qui s’agglutinent déjà au comptoir, on prendra notre café bien assis sur des coussins d’Orient profitant de la fraîcheur du matin. J’ai amené encore mes articles de toilette pour pouvoir retourner prendre une douche avant que les combats de cinq contre cinq commencent. Cette année nous avons autant d’équipes que l’an dernier avec Battle of the nations, une bonne moitié est enregistrée comme membre de l’IMCF et l’autre est en voie de le devenir, évidemment la Russie n’y est pas.

Janik est vraiment devenu le tavernier de l’événement, tout le monde le connaît et le salue, c’est qu’il a beaucoup d’entregent et comme il parle pas mal bien l’anglais en plus, il placote beaucoup avec sa clientèle. Mais à cette heure matinale, il ne sert pas vraiment de bière, il a donc un peu de temps libre il vient avec moi voir nos gars se préparer tranquillement, ils combattront dans environ deux heures, ça me laisse du temps pour aller prendre une douche. Après avoir pris la clé de Raphaël, je me dépêche, mais j’en profite tout de même pour ramasser au passage, des petits gâteaux question d’avaler un morceau.

Quand je reviens porter la clé près de deux heures plus tard, Janik est en train d’aider les gars à mettre une partie de leur armure, je m’exécute moi aussi. Andrew me dit que pour la présentation des équipes, c’est Janik qui portera le drapeau, normalement porté par un des combattants. Compte tenu de son intervention pour faire enlever le drapeau canadien, c’est très porteur de sens et lui en est bien fier…moi aussi. Je vais les suivre derrière, puis quand ils entreront dans la lice, j’irai m’installer quelque part autour pour tenter de prendre des bonnes photos, du cortège et des combats.

Un des organisateurs fait le tour des campements pour avertir les combattants de se tenir prêt à partir, puis au signal on marche dans le chemin avec les équipes voisines. La foule est très enthousiaste, beaucoup plus qu’elle ne l’avait été à Aigues-Mortes, y a du monde grimpé partout le long de la muraille à une vingtaine de mètre du sol. Ils occupent tout l’espace disponible pour ne rien manquer des événements, scandent des encouragements, levant haut leurs drapeaux, c’est grisant, et moi je ne me bats même pas, j’imagine comment nos gars ressentent toutes ces démonstrations. Arrivés à la hauteur de la rampe de la lice, les gars s’arrêtent et attendent qu’on nomme l’équipe du Québec pour entrer à leur tour, tandis que moi je pars à la recherche d’un bon spot. C’est difficile tellement y a du monde partout, et surtout dans les bons spots, mais mon costume est un laisser passer, et je réussis à me glisser entre quelques spectateurs souriants.

L’Ost entre et comme les autres équipes, fait le tour de la lice avant de s’immobiliser en rang avec les autres, Janik devant avec l’immense fleurdelisé, mon nouvel ami Xavier immortalisera superbement ce moment en une magnifique photo.  Quand les équipes ont été présentées, elles ressortent et celles qui doivent se battre bientôt viennent s’installer entre la lice et le bord de la muraille qui procure un peu d’ombre, les gars sont partis chercher le reste de leur équipement et viennent s’installer pour attendre leur tour.


Cet après-midi-là, ils ont vécu des émotions en dent de scie contre deux équipes très fortes, soit le Danemark et la Pologne, ils affronteront le Royaume-Unis le lendemain. Leur manque de temps à s’être entraîné les uns avec les autres jusqu’à maintenant, les handicape vis-à-vis des grosses équipes, qui ont plusieurs combattants de rechange habituées de travailler ensemble. Néanmoins, l’équipe s’est améliorée depuis l’an dernier, et elle s’en est bien sortie. Après les combats, il apparaît que cette année c’est l’année des Américains et des Polonais.


En soirée, je me promène avec Silvia entre la grosse tente au bar à bière si confortable et le campement français, l’atmosphère est un peu plus à la fête que les deux premiers soirs, mais il fait toujours aussi froid à mesure que la nuit s’installe. Je décide d’aller me chercher un vêtement plus chaud dans ma chambre, et quand j’arrive aux grilles, elles sont fermées et barrées, c’est curieux c’est la première fois cette semaine. Je hèle un employé qui attend là avec son walkie- talkie et tente de lui expliquer que je loge en haut, rien à faire, il ne parle qu’espagnol, mais quand il voit ma panique il appelle Cristian qui finit par arriver au bout d’une dizaine de minutes. Je lui rappelle que je dors là-haut, il me répond que non je ne dormirai pas là ce soir et que c’était juste pour le premier soir, ma panique s’amplifie. Je lui dis qu’il s’était arrangé avec Benoit, se rappelle-t-il? Oui mais il s’entête à ne pas me laisser rentrer et est assez expéditif même quand je lui demande au moins si je peux aller chercher mes bagages. Rien à faire! Je descends essayer de trouver Andrew, il est bilingue et c’est lui le capitaine de l’équipe cette année, et puis, nous l’avons pris sur nos billets, il peut bien m’aider. Je finis par le trouver ainsi que Janik et je leur déboule toute l’histoire, Andrew est furieux, pourtant ça avait été entendu que nous logions moi et Janik toute la semaine dans la tour du château. Ils remontent avec moi, en fait, Andrew avec son 6, 5 pieds gravit rapidement les escaliers et je cours derrière lui et l’on rappelle Cristian qui arrive le visage fermé, oh ça sera pas facile! Andrew s’entretient avec lui,  il ne veut rien savoir, mais il consent à nous laisser aller chercher nos affaires. Bon ok! Je demande à Andrew de rester avec moi au cas où nous rencontrions d’autres oppositions sur notre chemin jusqu’à notre chambre mais aussi parce que je sais que je serai incapable de descendre ma super grosse valise, dans ces foutus escaliers dans le noir, lieu infâme où j’ai bêché deux jours avant. Et nous redescendons en maugréant, car mon deuxième problème se présente bien assez tôt, où dormirons-nous maintenant? Il n’y a pas assez de place dans la tente d’armure et puis j’ai si froid, je capote!      
   
Tout de suite Jan Olivier m’offre le gîte dans leur immense tente, où les employés dorment. La nuit, ils ferment tous les panneaux et nous sortons les lits de camps, Janik s’obstine à aller dormir dans la tente d’armure, je pense qu’il veut de l’intimité. Durant la nuit, même dans la grosse tente fermée dans mon sleeping bag, je dois mettre des gros bas chauds et couvrir ma tête pour arriver à dormir. Je comprends maintenant pourquoi dans le passé les gens portaient des bonnets au lit, dans le temps où y avait pas d’électricité pour chauffer toute la nuit. Couvrir au moins le dessus de la tête permet de garder sa chaleur.



À l’aube, nous ne tardons pas à nous lever, car, ils servent le petit déjeuner, et y en a qui viennent tôt pour se restaurer. J’avale un café et vais voir comment Janik s’en est sorti, je suis fascinée de voir que malgré le froid et les panneaux de la tente, mal plantés dans le sol, flottant au vent, il dort comme un loir. Le matelas coincé au milieu d’une tonne d’acier, de sac de hockey et de gambisons humides, il ronfle à moitié couvert par son sac de couchage. Ça me dépasse complètement! Jamais vu quelqu’un dormir aussi dur, je peux bien avoir eu toujours de la misère à le sortir du lit pour aller à l’école. Je le laisse dormir, les gars le réveilleront quand ils arriveront de leur hôtel, s’il ne s’est pas réveillé avant ça. 

dimanche 18 décembre 2016

Belmonte Espagne IMCF 2014 1ère partie


Lundi 28 avril, nous attendons moi, Janik et Andrew à l’aéroport en espérant qu’on embarquera sans difficulté, le vol est pas mal plein. Moi et Janik avons pris chacun une grosse valise et comme nous avons droit à deux valises de 23 kilos, nous prenons une partie des bagages d’Andrew avec nous, qui lui en a beaucoup à cause de son armure et parce qu’Andrew en amène toujours trop. Moi et Janik apportons chacun un matelas pneumatique puisqu’il est entendu que nous dormirons tous les deux au château. Lorsque Benoit était allé à l’assemblée générale en décembre dernier, le comte, propriétaire du château avait offert de laisser une pièce disponible pour ceux qui n’auraient pas de chambre à l’hôtel ou de campement médiéval. Benoit l’avait contacté pour lui signifier que son épouse (chercheure sur le béhourd) et son beau-fils y dormiraient. L’Ost s’était pris des chambres à l’hôtel.
On nous appelle finalement et heureusement on embarque!

Le vol se passe plutôt bien et nous arrivons à Charles de Gaules en matinée, nous disposons d’un peu plus de temps entre nos deux vols que j’en avais l’année dernière puisque cette fois-ci notre vol pour Madrid est à partir de Charles de Gaules mais tout de même, nous nous dépêchons, justement pour éviter les emmerdes de dernières minutes. Comme par exemple, se rendre compte que la distance à parcourir entre les deux terminaux est très grande ou qu’Andrew pourrait oublier l’un de ses bagages et s’en rendre compte, une fois que Janik a passé le tourniquet «one way», que moi je sois en train de les passer et que lui-même suis derrière moi. Donc nous voilà à attendre aux tourniquets qu’Andrew retourne 20 minutes de courses derrière pour récupérer son bagage. Nous finissons par prendre ce deuxième avion quand même à la dernière minute.

À notre arrivée à Madrid, l’aéroport nous apparaît vide et sans vie, j’ignore si c’est toujours comme ça, mais le contraste avec l’aéroport que nous venons de quitter est spectaculaire. Il y a peu de gens et peu d’employés, et le fait que nous débarquons dans une section où il n’y a pas de fenêtre c’est un peu oppressant. Nous constatons qu’il manque un bagage, le plus gros, l’armure d’Andrew! Nous tentons désespérément de parler à l’un des rares agents, personne au comptoir ne parle ni français et ni anglais, mais par-dessus tout, ils semblent refuser de le faire, soit on leur parle espagnol, soit on sèche. Vraiment? C’est pas un peu bête de jouer la carte nationaliste dans un aéroport?

Nous devons prendre la navette fournie par l’IMCF qui sera là dans quelques heures, mais on ignore où on doit la prendre. Et nous devons absolument récupérer l’armure, essentielle pour le tournoi. Nous finissons à force d’insister, par faire comprendre que notre bagage a été perdu, par LEUR compagnie aérienne et leur laissons l’adresse du lieu où nous serons à partir de demain, pour qu’ils puissent la livrer, on l’espère, à temps. Nous partons ensuite manger un McDo après qu’Andrew ait communiqué avec le capitaine de l’équipe espagnole pour savoir l’heure et l’endroit du départ de la navette. Le restaurant est super modernisé et chic pour un McDo et quand je mange ma salade, j’oublie presque que je suis dans un fast food. Nous nous attablons avec un groupe de combattants allemands qu’Andrew connait et qui attendent eux aussi la navette. La quantité de verres de bière vides accentue la convivialité entre nous, eh oui, il y a de la bière au menu chez McDo (comme en Belgique d’ailleurs). Nous restons là jusqu’à l’arrivée de la navette, autant parce que nous n’avons rien d’autre à faire, parce que leur compagnie est fort agréable et qu’en plus, on s’assure de ne pas manquer la navette, puisque nous la prenons tous ensemble. Andrew en est à sa quatrième année de participation au tournoi international, et même si les trois premières l’étaient dans le cadre de Battle of the nations et que cette année c’est avec la nouvelle fédération, c’est tout de même le même monde qui y participe, et donc il connaît beaucoup de combattants.

C’est un super gros autobus de luxe qui vient nous chercher, nous avons une heure et demie de route devant nous jusqu’à Belmonte. Il se remplit en quelques minutes et pendant que je m’installe épuisée à côté de Janik, j’entends les discussions qui font bon train, principalement en anglais mais qui trahissent la présence d’Allemands, d’Écossais et d’Irlandais. J’aimerais bien admirer le paysage mais il fait noir et nous ne voyons pas grand-chose, je m’endors épuisée, mais me réveille juste à temps pour notre entrée dans le village où on peut voir le château tout illuminé surplombant Belmonte. Magnifique! L’autobus circule dans les petites rues du village et fait figure de contraste en gros intrus roulant ainsi en pleine nuit dans ce village rustique et paisible.
Cristian, le capitaine espagnol, nous accueille dans le stationnement, c’est lui qui gère un peu pas mal le tournoi et qui fait le pont entre le propriétaire du château, le château en tant que tel et la gestion du tournoi. Il nous attend pour nous montrer où déposer notre stock pour dormir et en profite au passage pour nous faire faire une courte visite des lieux. Nous devons être silencieux car, il y a déjà des combattants d’installés qui dorment dans la salle où nous dormirons toute la semaine. Nous soufflons nos matelas dans le noir à la lueur du clair de lune qui éclaire partiellement notre chambre et je demande les coordonnées pour le wi-fi pour que je puisse communiquer avec Benoit et lui dire que nous sommes arrivés. La connexion est faible mais j’ai le temps de faire un p’tit coucou à mon amoureux qui est à Winnipeg en train de souper, quand je me couche, Janik ronfle déjà. Andrew est parti rejoindre les gars de l’Ost à leur hôtel.

Au petit matin, on se fait réveiller par le bruit environnant et par les déplacements de matériaux dans la chambre, d’abord nous constatons que les autres dormeurs sont partis avec leurs bagages et apparemment y a un artiste sculpteur qui semble installer ses œuvres au milieu de la pièce. On tente une communication, il baragouine difficilement quelques mots en anglais, mais on comprend qu’il y aura une exposition dans cette pièce, de ses œuvres. Et cette exposition s’insère dans l’événement médiéval qui commence aujourd’hui la veille du tournoi, il y aura donc des visites du château. Et ça commence dans quelques heures. Ah!
Bon…Okayyy

Nous trouvons rapidement les toilettes, de superbes toilettes publiques mais évidemment pas de douche. Bah j’irai voir plus tard en bas sur le terrain. Et nous paquetons notre stock que nous empilons derrière des paquets de chaises rangées sur le long du mur du fond. Personne ne nous a averti pour ces visites et ignorons où nous devons laisser nos bagages pendant les heures d’ouverture. Afin d’éviter d’avoir à revenir fouiller dans mes affaires, j’essaie d’être prévoyante, je ramasse crème solaire, portefeuille, passeport, bouteille d’eau, cellulaire, calepin et crayons. J’apporte aussi en bandoulière mes articles de toilette, des vêtements de rechange et une serviette au cas où je prendrais ma douche quelque part. Je cherche mon maquillage, trouve pas, perdu probablement dans les toilettes de l’aéroport de Madrid, merde! C’est hors de question que je passe ma semaine nue visage, là-dessus c’est non négociable, sans mon crayon, mascara et rouge à lèvre, y doit bien y avoir un endroit où s’en procurer au village.

Je descends sur le terrain où les tentes se dressent et les étals s’animent tranquillement, je trouve rapidement Janik qui discute avec les Allemands rencontrés au McDo la veille, ceux-ci travailleront comme serveur, cuisiner et barman sous la tente de Saladin, lieu de détente et de restauration tenue par Jan Olivier, un habitué des foires médiévales. Ce dernier est marocain d’origine, a vécu en France et demeure depuis plusieurs années en Allemagne. Quand il me parle en français, j’ai l’impression d’entendre le Germain dans «Les douze travaux d’Astérix». Et jouxtant sa tente, il tient aussi un kiosque de noix et fruits séchés en vrac. Il est super bien organisé mais quand Janik lui propose de travailler pour lui en échange du couvert et de la bière, il est enchanté. Pour lui, ça ne sera pas vraiment difficile, il travaille déjà dans un restaurant, il aime les gens et parle mieux anglais que les autres employés avec qui il se lie rapidement d’amitié. Toutefois, il spécifie qu’il veut pouvoir se promener à sa guise sans obligation et venir aider les gars de l’Ost en tant qu’écuyer au besoin.

Je repère le marchand polonais qui vend ses fameux chapeaux de paille, si populaires l’an dernier et probablement le seront aussi cette année sous le soleil d’Espagne. À 25 euros je les trouve un peu dispendieux pour mon budget qui est pas mal serré, je décide d’attendre un peu. Je vois que mon fils erre ici et là et lui propose une visite au village, pour acheter des trucs à grignoter et parce que je veux trouver un magasin où je peux m’acheter un mascara et un rouge à lèvre. On passe par une petite ruelle qui débouche sur une grande place, c’est assez désert, ça me rappelle les films western où personne ne traîne dans les rues et où le soleil plombe, éblouissant les murs pastels des maisons aux rideaux tirés, un peu plus et y auraient des «tumbleweeds». En cherchant une épicerie, et tout en déambulant dans les rues, nous remarquons qu’il y a des rameaux tressés ici et là aux grillages ou aux volets de certaines fenêtres, je suis curieuse, peut-être est-ce un rituel catholique en rapport avec les fêtes de Pâques récentes?  Aussi, de temps à autre, il y a une bouteille d’eau placée sur le pas de la porte, j’avoue que ça m’intrigue aussi, mais personne pour répondre à mes questions, car il n’y a personne dans les rues et de toute façon arriverions nous à nous comprendre?

Mais…la motivation à vouloir se faire comprendre peut parfois nous faire soulever des montagnes ou trouver un magasin où se vendent des cosmétiques. Faut pas avoir peur du ridicule, je me le répétais alors que je franchissais la porte d’une petite épicerie que nous venions de découvrir par hasard au tournant d’une rue. On fait rapidement le tour pour repérer ce qui est disponible à manger, et après avoir payé nos saucissons, fromage et jus, je vais voir les dames qui travaillent un peu plus loin et comme je le redoutais elles ne parlent qu’espagnol, donc je «mime» l’action de se maquiller, elles font «ahhhhh si!» le reste je comprends pas, mais l’une d’elle me fait un petit dessin des rues autour et m’encourage à aller là-bas. Je vais retrouver mon fils, découragé, qui était sorti aussitôt mes prouesses communicatives entamées, refusant d’être mêlé en quoi que ce soit à ces histoires de femmes. Je lui montre mon schéma et on essaie tous les deux de le comprendre, quand on finit par arriver devant la vitrine du magasin qui ressemble à une petite boutique démodée depuis 25 ans, on se retrouve devant une porte barrée. Et là on allume, bien sûr ce doit être la siesta! C’est pourquoi n’y a personne dans les rues! Y a juste des épais comme nous, des gens qui viennent du nord pour se promener et faire leurs petites affaires en plein cœur de l’après-midi en plein soleil.

Bon j’ai aucune idée du temps que peut prendre ce répit quotidien, nous rebroussons chemin penaud, moi de devoir attendre pour faire mes achats, Janik parce qu’il redoute que je l’entraîne une seconde dans mes aventures plus tard. Nous tombons sur un petit resto bar qui semble ouvert avec une terrasse, nous avons faim! À l’intérieur, un monsieur d’une soixantaine d’années semble pris un peu au dépourvu quand nous lui signifions que nous voulons manger, mais il nous fait comprendre qu’il peut nous accommoder, et nous présente un menu minuscule, sur lequel on reconnait «burgers», on saute là-dessus. Il se glisse derrière dans ce qui semble une minuscule cuisine de maison. Dans le bar, un comptoir où peuvent tenir trois ou quatre tabourets, une télé au mur et quelques décorations un peu défraîchies. Et évidemment aucun client, sont tous partis faire la siesta. Nous nous installons à une table sur la terrasse et bientôt viennent s’attabler d’autres gens qui ne font pas la siesta, des combattants américains, on se reconnait rapidement entre étrangers en ce pays, c’est ainsi que nous finissons par manger ensemble. Le pôvre petit monsieur, nos burgers dans une assiette, est vite débordé avec ces nouveaux clients supplémentaires.

De retour sur le terrain du tournoi, je retrouve les gars de l’Ost, occupés à déposer leurs armures dans la tente installée sur le campement de l’équipe autrichienne, qui a l’air plus ou moins emballée de notre présence pas assez décorum et historique à son goût, mais par chance nous avons comme voisin aussi, l’équipe japonaise absolument sympathique et qui comme nous, consciente des complications à l'idée de traverser un océan avec son campement historique dans ses bagages. Beaucoup de recréateurs* européens ont du mal à saisir cela. L’équipe du Québec est très différente cette année, Andrew est le seul qui était là aussi l’an dernier. Raphaël en est à sa deuxième participation, étant allé au tournoi en Ukraine trois ans auparavant, Régis et Étienne viennent pour la première fois mais font du béhourd depuis quelques années et font aussi de la reconstitution historique et deux nouveaux depuis quelques mois, Yan et Nicolas. Cette année, l’équipe est très réduite, comparée à celle de l’an dernier mais la dynamique est très différente. Je pense aussi, que ça s’explique par le fait que contrairement à l’an dernier, l’événement est abordé différemment, c’est-à-dire comme un gros tournoi sportif important où l’on a la chance de voyager et de fêter le dimanche quand l’événement prend fin et non pas en touriste où tous les soirs sont occasion de fêter; un séjour entrecoupé de combats comme ceux qu’on fait dans les grandeurs nature… pour jouer. Et c’est à mon avis précisément parce que l’an dernier nous avions une majorité de joueurs dans l’équipe que ça s’est déroulé ainsi. Cette année nous n’en avons qu’un seul et encore ce n’en n’est pas un très assidu. Faut dire aussi que les histoires de l’an dernier ont fait le tour à notre retour d’Aigues-Mortes, et que certains combattants plus sérieux, restés au Québec avaient goûté à cette sauce les deux années d’avant et connaissaient le «pattern», ce n’était donc pas une nouvelle inédite. L’équipe formée cette année consciente de tout cela est déterminée à changer la donne.

Bonne nouvelle, Andrew a reçu son armure, fiouuu!

Régis m’offre d’utiliser sa connexion wi-fi qui est excellente à leur hôtel et Raphaël sa douche si jamais j’ai besoin, et comme j’ai pu voir sur le terrain que le bâtiment servant de douches est conçu pour une gang de gars, des douches communes, bye bye l’intimité! Je le remercie du fond du cœur.  


Le soir commence à s’installer et moi je suis trop fatiguée pour aller me doucher au village, de plus j’ai un mal de tête lancinant, une petite insolation inévitable. Peut-être qu’une sieste me remettra sur pieds, je me laverai après, faut-il déjà que je monte ces satanés escaliers qui n’en finissent pas de monter en pente raide. J’ai aussi entendu dire que les Américains célèbrent un mariage le soir même à leur campement et qu’ils invitent tout le monde, j’avoue que je suis tentée par l’idée d’aller y faire un tour, on verra bien. Dans notre tour, les visites sont terminées et j’entre discrètement, tire mon matelas de derrière les chaises, m’étends et réussis à envoyer quelques bisous à Benoit malgré la connexion merdique.


Je ne me réveille pas avant le lendemain matin.