Mars 2015 New Jersey
Quelques semaines après ce
tournoi hivernal, nous prenons la route pour aller à un tournoi organisé par
l’équipe américaine au New Jersey, pour eux ce sont leurs propres
qualifications pour le tournoi à Malbork en Pologne. Contrairement à nous, ils
sont plus nombreux et paient un prix de membre qui aide à financer l’équipe qui
fera le voyage, et c’est pourquoi, ils doivent sélectionner les meilleurs
combattants. Moi et Benoit ferons la route avec Andrew dans une voiture louée,
y a quelques combattants québécois et Amélie qui vient donner un coup de main.
Nous dormirons à l’hôtel le soir et repartirons le lendemain matin, on n’a pas
les moyens de rester plus longtemps, déjà on a pris une chambre pour nous
trois, les chambres ont deux lits doubles, et partageons la location de la
voiture et l’essence.
Nous partons le vendredi soir et
les gars ont prévu rouler de nuit à tour de rôle, moi je m’occupe de la musique
assise derrière, et commence ainsi l’éternelle obstination entre eux sur toute
sorte de sujets comme par exemple l’itinéraire. Un moment je ne les entends
plus et m’assoupis pour une bonne partie de la route. C’est la deuxième fois
que je vais vraiment aux États-Unis, si on exclue quelques escapades dans les
années 80 à Old Orchard ou au Lake George (quand c’était un haut lieu de
villégiature pour les Québécois) et un voyage à Las Vegas pour aller rejoindre
ma sœur et mon beau-frère qui travaillait sur le show de Cheval théâtre. Le
premier étant notre petite escapade en amoureux à Boston, il y a quatre ans.
Pour l’instant je ne vois pas grand-chose, mais j’en profiterai sur notre
retour qui se fera de jour. Au petit matin, on arrête déjeuner puis on se rend
au Centre où a lieu le tournoi, je me demande comment les gars arriveront à
faire leur journée, ils ont un peu dormi dans l’auto mais tout de même, pas des
conditions idéales avant un tournoi. En plus, Benoit a toujours des coups de
fatigue après avoir mangé, j’ai comme l’impression qu’il ne sera pas très
efficace. Sur place on retrouve les autres Québécois et on reconnait plusieurs
Américains, c’est un beau centre avec un immense gymnase et une pièce adjacente
qui sert aujourd’hui de vestiaire qui aurait pu accueillir une vingtaine de
joueurs de basketball, mais certainement pas une trentaine de combattants qui
doivent enfiler leur armure. On pourrait remporter un exploit Guinness
aujourd’hui, réussir à ne pas s’évanouir par manque d’oxygène dans des
conditions extrêmes. Y a du « mâle » en bedaine au cube!
Dans les estrades, y a pas
beaucoup de monde, un peu comme au Québec, mais les spectateurs se montrent un
peu plus démonstratif, en tout cas, ceux qui sont là aujourd’hui, même s’ils
sont peu nombreux, semblent connaître ce sport et l’apprécier. Chez-nous, j’ai
croisé souvent des regards perplexes, c’est encore vraiment « underground »
comme sport. Quand j’en parle, ce que je fais de plus en plus souvent, je dois
rectifier à chaque fois le tir : « Non ce n’est pas un truc d’épée en
mousse, non ce n’est pas du grandeur nature, oui les armes sont « vraiment
vraiment pour vrai » des armes réelles. Oui ce sont de vraies armures et non
les blessures ne sont pas si fréquentes, pas plus qu’au football. Bon pour
faire exprès Andrew, Étienne et Régis sortent des combats blessés. Je suis
presque soulagée que Benoit n’ait pu se battre parce que son armure n’était pas
adéquate, forcément il aurait été blessé lui aussi. Étienne a trébuché et est
tombé assis sur un bout de clôture qui entrait dans la lice, Régis a reçu un
coup illégal à toute puissance dans le dos et Andrew a reçu une coupure
derrière la cuisse, une partie mal protégée. Si je dis que Benoit aussi aurait
été blessé c’est que lors de ces qualifications, la compétition est extrêmement
féroce, les combattants motivés à faire partie de l’équipe qui ira au tournoi
mondial, mettent toute la puissance et n’hésite pas parfois à tricher.
Finalement les Québécois auront servi de chair à canon dans ce tournoi qu’ils
avaient cru plutôt amical. Andrew est obligé de se rendre dans une clinique
pour se faire recoudre et les combats sont terminés pour nos combattants.
On se demande comment ça va se
passer pour Andrew qui a oublié de se prendre une assurance voyage, mais
finalement ça ne lui a rien coûté, on nous dit que ça dépend de certains états.
Nous devons nous réunir pour un souper collectif dans un restaurant pas trop
loin, et on doit attendre dehors pendant une bonne quinzaine de minutes parce
qu’il n’y a pas de place. On est un peu impatients, surtout qu’il fait frisquet
et qu’on s’est inscrit la semaine avant. Une table d’hôte a été prévue pour
nous tous, à 35$ américain, on espère que ça sera bon à ce prix-là. Eh ben non,
tout simplement non, moi, restauratrice dans une autre vie et Régis fils d’aubergistes
assis en face de moi, sommes découragés. D’abord l’établissement est un « Apportez
votre vin », on ne nous l’a pas dit, nous qui pensions prendre une bière ou un
verre de rouge, on doit tout simplement s’en passer. Sur la table d’hôte, y a
trois choix de menus, mais quand on voit passer les assiettes, ce qui est dans
les assiettes est invisible, copieusement arrosé d’une sauce tomate,
apparemment la même pour les trois plats. En entrée, nous avons droit à un tout
petit bol de salade iceberg avec deux trois morceaux de tomates et de
concombre, et y paraîtrait que le dessert était un plateau de pâtisseries, mais
il a fallu le rappeler aux serveuses qui ont apporté une assiette de p’tits
gâteaux achetés à l’épicerie, sans jamais offrir de thé ou de café. Donc voilà!
Après les divers discours du capitaine américain à propos de choses qui ne nous
concernent pas finalement, nous sortons affamés, mais «petite ville signifie
rien d’ouvert après 22:00 hrs». On va aller se coucher plus vite, donc on va se
lever plus tôt et on ira déjeuner quelque part.
Avec la levée des corps, vient
l’impression que notre séjour a été un peu un pétard mouillé, Andrew rapporte
une belle balafre derrière la cuisse, Benoit n’a pas pu participer et même si
au fond de moi je crois que c’est une bonne chose, on est quand même venus un
peu pour rien et ça nous a coûté trop cher. On décide d’aller déjeuner dans un
petit restaurant au stationnement bien rempli, on se dit que c’est bon signe,
mais si on arrête notre choix là c’est parce qu’on veut manger un vrai
déjeuner, pas un fast food. Et cette fois-ci nous sommes bien servis! Un vrai
restaurant de village où tout le monde se connaît, évidemment, nous sommes les
étranges, nous ne sommes pas du coin et même du pays. Après que les client(e)s se
soient habitués à notre présence et aient constaté que nous n’étions pas aussi
exotiques finalement, la serveuse nous apporte les menus et là le déjeuner
typique, œufs bacon, fèves au lard, etc. vint nous faire oublier le souper de
la veille. Délicieux!
C’est avec le ventre plein qu’on
reprend la route jusqu’à Montréal. Benoit et Andrew reprennent leurs
sempiternelles obstinations, et moi, ma job de DJ. Je regarde le paysage le
long des routes dans le New Jersey, puis le New Hampshire, je constate qu’il y
a beaucoup de maisons délabrées, certaines ont l’air abandonnées, on peut
observer les effets de la récession quelques années auparavant. Dans le Vermont
ça semble moins pire, mais ça reste une impression, ce qui est bien dans le
Vermont c’est qu’ils ont des aires de repos où l’on sert un excellent café
d’une compagnie locale et chacun est libre de laisser le montant qu’il désire.
Je crois qu’on s’est arrêtés à tous ceux qui étaient sur notre route.
Avril 2015
On partait bientôt pour la
Pologne, et cette fois-ci, tous les deux! Un des chefs exécutifs de l’équipe américaine,
qui a ouvert son école de combat médiéval récemment à Nashua au New Hampshire,
avait invité Benoit, pour que celui-ci donne un entraînement de lutte à ses
gars. Il nous offrait de dormir chez-lui et pour la bouffe, faut pas s’en
faire, y a toujours plein de monde qui passe à l’école et le samedi soir on se
réunit après l’entraînement, on se fait une bouffe, rien de bien compliqué.
Pour nous qui surveillons nos sous, c’est bon, nos seules véritables dépenses
seront l’essence et des p’tits extras sur la route. Je crois bien que c’est pas
mal à partir de là que j’ai commencé à apprécier nos longs voyages sur la
route, en amoureux. Les matelas pneumatiques dans le coffre, une petite
glacière remplie de quoi grignoter et boire, quelques bonnes playlists et on
part sur la route à la fin de la nuit pour voir le soleil embraser l’horizon et
se lever triomphalement. Cette lumière nous fait du bien après toutes ces
intempéries dans nos vies.
Nous voilà à parcourir les 520 km
qui relient Ste-Adèle et Nashua New Hampshire, sans nous plaindre, au
contraire, et nous les referons au retour 48 heures plus tard avec le sourire.
Nous sommes ensemble, libres comme l’air, la musique plein les oreilles, la
tête pleine de rêves et de projets et Benoit s’est fait inviter pour donner un
entraînement. C’est valorisant, et avec toutes les claques que Benoit a reçu,
cette invitation est un véritable baume, on croit en lui et ses capacités au
sein de ce sport. En effet, Jaye et Benoit avaient eu l’occasion de discuter
lors des tournois hivernaux au Québec, au New Jersey le mois dernier et des
assemblées générales en Espagne et en Pologne. Ils en étaient convenus qu’un
séminaire interdisciplinaire dans un contexte convivial serait une excellente
façon d’échanger des connaissances. Moi aussi je gagne dans cette rencontre,
puisque je vais chercher du matériel pour mes recherches, n’est-il pas
intéressant d’observer les Américains chez-eux dans leurs entraînements et
leurs perceptions concernant ce sport en général? Mais comme j’ai décidé de ne
pas me mettre de barème et de laisser couler le flot d’informations en
attendant qu’une tendance se dessine qui pourrait m’aider à trouver mon sujet,
j’ouvre grands les yeux et « grandes grandes grandes » mes oreilles pour
comprendre au maximum ce que mes oreilles francophones pas super bilingues
peuvent traduire. Bien sûr, au début je demande souvent des précisions à
Benoit, mais c’est très frustrant car j’ai besoin de saisir TOUTE l’information
incluant les détails que Benoit croit trop superficiels pour me les dire, mais
que ma compréhension me permet de savoir qu’ils sont là ces détails, laissés en
suspens. Mais Jaye m’aide beaucoup, d’abord parce qu’il se montre ouvert et
intéressé par mes recherches, et conscient de mes lacunes pour comprendre, il
est d’une patience inouïe. Lorsque nous échangeons, il prend le temps de me
laisser formuler et fait de l’écoute active, lui prend le temps d’articuler et
me donne plein d’informations et parfois certaines avenues auxquelles je
n’avais pas pensé. Je rencontre par la même occasion sa femme Jana artiste aux
multiples talents qui comme moi consacre une bonne partie de sa vie à ce sport
et surtout à l’équipe américaine. C’est une perle de gentillesse et de douceur,
elle est toujours dans un coin tranquille en train de dessiner des logos, de
peindre des boucliers, de fabriquer des chapeaux, de prendre des photos et de
s’occuper de la visibilité de l’équipe sur les médias sociaux. Elle et Jaye ont abandonné leur emploi
respectif pour se consacrer uniquement à leur école baptisée le « Knights hall »
qui est le centre de leur vie.
Le séminaire est en fin
d’après-midi, quelques heures après notre arrivée, la salle d’entraînement est
vraiment bien aménagée, l’école étant située dans un immense bâtiment qui a
servi d’usine au début du 20ième siècle a été récupéré en locaux
pour certaines entreprises. L’architecture de base a un petit côté « Old
fashion » qui me plaît bien, avec ses grandes fenêtres qui permettent à la
lumière naturelle de s’imposer partout. La particularité de ce type d’école
c’est de prendre en considération l’équipement qui est aussi important que la
forme physique ou les techniques de combat, car contrairement aux autres
sports, on ne peut pas s’équiper dans le Canadian Tire du coin. Les armures se
fabriquent à la main par des artisans et comme elles ont la vie dure, sont
constamment sujettes à devoir être réparées ou ajustées, au Knights hall, un
atelier est prévu pour « tapocher » bruyamment sur son armure. Ça aussi c’est
vraiment très utile surtout pour ceux qui ne peuvent le faire chez eux soit par
manque d’espace, soit à cause du bruit et des voisins, soit parce qu’ils n’ont
pas les outils pour travailler l’acier ou le cuir. L’avantage d’un atelier
central est aussi d’être un lieu d’échange de connaissances où se soudent les
liens nécessaires à une équipe solide.
Je me dis que ce serait vraiment
bien si nous avions quelque chose qui ressemble à ça, parce que l’unité et la
solidarité ça manque un peu chez nous dans ce sport. On trouve des petits
noyaux ici et là, mais on sortira gagnant vraiment le jour où nous irons
ensemble dans une direction… incluant dans ce sport.
J’assiste sagement au séminaire,
installée, derrière la grille qui protège les spectateurs quand il y a du
combat en armure, je remarque que les participants sont très attentifs pendant
les explications de leur invité québécois, et contrairement aux entraînements
que Benoit donne au Québec, personne ne rouspète ou ne tente de remettre en
doute ses enseignements. Ses élèves temporaires ne sont pas ni plus, ni moins
bons que ceux à qui ils enseignent au Québec, mais le fait qu’ils sont
disciplinés et ouverts, rend le séminaire efficace. Comme toujours, je trouve
que ses entraînements sont « tough »! Je ne pourrais pas être son élève, je
tomberais d’épuisement dans les premiers 15 minutes, mais c’est pour ça que je
ne pratique pas ce sport, si je peux déployer pas mal d’agressivité, je n’ai
pas d’endurance et je suis tellement moumoune! Mais par-dessus tout je ne
supporterais pas la honte de me plaindre quand je vois Benoit qui se donne
encore plus physiquement que ses élèves, qu’il sue des litres et qui dirige sa
classe tout en l’encourageant. Sincèrement je ne comprends pas comment il fait
pour déployer autant d’énergie, nous nous sommes levés dans la nuit, il a
conduit six heures, on a mangé un burger en chemin (qu’il l’a plus affecté que
nourri), et après quelques heures de discussion avec Jaye, il s’est changé et a
donné et fait avec le groupe son super entraînement. Et il est tout sourire,
heureux, semble moins affecté que les autres, qui j’en suis certaine doivent un
petit peu le maudire secrètement, même si ce n’est que temporairement, en tout
cas, moi je le ferais !!!
Jana et les femmes, celles qui ne
font pas d’entraînement ou de combat, sont allées acheter de la nourriture au
supermarché pendant le séminaire et sont en train de cuisiner le souper que
nous prendrons en commun. J’offre un coup de main, mais honnêtement je me sens
comme un chien dans un jeu de quilles, comme j’aimerais mieux m’exprimer et
échanger avec elles. Quand je m’excuse auprès de l’une d’elle pour mon anglais
défaillant, elle me dit en riant que je suis tellement meilleure en anglais
qu’elle en français, ça remet les choses en perspective effectivement, soudainement
je me sens moins malhabile et moins gênée de parler dans une langue qui n’est
pas la mienne.
Après avoir pris un bon repas et
quelques bières en soirée, la fatigue nous rattrape et quand tout le monde
finit par partir, nous nous écroulons sur le gros futon de la salle de séjour
et dormons comme des bébés. Le lendemain, nous décidons d’aller déjeuner dans
un resto du coin, en attendant que l’école soit ré ouverte car il y a un
entraînement de Jaye en après-midi et Benoit veut y assister, il profite de
toutes les occasions qui se présentent, car il veut être en forme pour le
tournoi de Malbork qui arrive à grands pas. Comme il travaille le lendemain
matin, nous partirons tout de suite après, nous sommes conscients que nous
arriverons au beau milieu de la nuit à Ste-Adèle, mais nos priorités sont là à
portée de main. Mais définitivement je ne peux plus maintenant fermer les yeux
dès que le moteur se met en marche comme je l’ai fait toute ma vie, je dois
être totalement la coéquipière, c’est-à-dire, m’assurer du confort du
conducteur, de le garder éveillé en discutant, en m’occupant de la musique, de
le fournir en snack, d’être la deuxième paire de yeux active sur la route et
j’avoue que je m’en sors plutôt bien. Je vais mettre tout ça en pratique le
mois prochain puisque cette fois-ci nous irons ensemble et ferons le voyage
avec Andrew. Nous prendrons le vol Montréal-Toronto-Francfort, puis nous
louerons une voiture qui nous mènera d’abord à Berlin où nous logerons chez le
capitaine de l’équipe allemande qui nous a invité à y passer quelques jours.
Ensuite nous partirons tous ensemble à Malbork en Pologne pour le tournoi de
l’IMCF, ce qui signifie que nous allons faire beaucoup de route.