Samedi matin, on « petitdéjeune » autour
du feu et du gros chaudron de Shonna, je mange surtout du pain et du fromage
cheddar (j’adore leur fromage!) avec une tasse de thé. Je glisse un paquet de
biscuits et deux pommes dans mon sac, j’ignore quand sera le prochain repas. Quand
notre petite délégation est prête, Ben, Hubert, Louise, Jacob, Scott et moi,
allons au palais pour rencontrer, encore, Sara. Cette fois, c’est pour lui
présenter notre troisième partenaire dans cette aventure, c’est-à-dire la SKL
(Scottish Knight league). Les responsabilités et les dépenses doivent être
départagées et les trois partenaires retireront des bénéfices, au sens large,
de cette association.
D’abord, il est important de souligner que
la plupart des châteaux en Europe, même si plusieurs ont été rénovés et sont
sur les circuits touristiques, sont devenus des musées, des hôtels ou des
salles de réception. En recevant un tournoi sportif et médiéval comme le nôtre,
les établissements historiques (châteaux, palais, forteresses, etc.) deviennent
le décor idéal que nous avons besoin et ceux-ci bénéficient d’une belle
publicité gratuite grâce à la couverture journalistique, les vidéos de
promotion qui sont vus plusieurs dizaines et même centaines de milliers de fois
par des internautes de partout dans le monde, puisque nous avons chaque année
plus de 25 pays participants. Les combattants découvrent l’endroit et la
population locale découvre ce sport. L’espace de quelques jours, l’établissement
est l’hôte d’un tournoi sportif comme il y en avait il y a 600 ans. C’est une
belle cure de jeunesse pour ces endroits qui deviennent des musées vivants à
ciel ouvert.
L’IMCF bénéficie d’un lieu époustouflant
pour son tournoi, l’Écosse est un lieu très prisé, je dirais mythique pour
beaucoup de combattants, mais aussi pour les spectateurs qui vont vouloir
suivre l’événement sur place ou en diffusion directe sur Internet. Comme ce
sera le cinquième anniversaire de la fédération, l’IMCF doit offrir un show
spectaculaire et comme toujours, offrir une belle occasion touristique à ses
combattants. La SKL, tire aussi son avantage de la visibilité que le tournoi lui
procurera et ainsi grossir ses rangs avec les nouveaux intéressés qui vivent en
Écosse. Bien sûr, il y a aussi des gains financiers à faire, mais avant il faut
mettre la main dans sa poche pour couvrir tous les frais. Même si l’IMCF
aimerait faire un bon profit afin de payer ses arbitres entre autres choses,
elle veut surtout éviter d’avoir à payer quoique ce soit, après tout, elle
offre un spectacle, elle aimerait bien ne pas avoir à débourser pour le faire.
Ce qu’elle demande à notre hôte c’est qu’il se charge de toutes les
infrastructures temporaires : les toilettes, douches, eau potable, WI-FI
pour la transmission du tournoi sur Internet, des tentes pour les arbitres,
ainsi que pour les combattants en attentes, des estrades pour les spectateurs,
un ou deux écrans géants, accessibilité d’un terrain pour planter sa tente, d’avoir
un technicien d’audio et vidéo sur place et une équipe de premiers soins
incluant une ambulance, etc. Mais en échange, il récoltera les entrées payantes.
La SKL, demande que le palais paie le bois
qui servira à construire la lice, en échangent, ils offrent de la construire et
la garderont ensuite pour leurs autres futurs tournois. Celle qui servira
demain au tournoi appartient aux Anglais et de toute façon n’est pas assez
grande pour un tournoi de cette envergure. Comme c’est la SKL qui est l’équipe
qui reçoit, c’est elle qui se chargera de diverses tâches sur place, pas
encore déterminées.
L’IMCF s’engage à produire un tournoi avec
plus ou moins 400 combattants(e)s et au moins 200 aides plus une trentaine d’arbitres.
Évidemment, il est entendu, comme toujours, que tout ce beau monde sera costumé
médiéval historiquement correct durant tout l’événement de sorte qu’il offrira
un tableau vivant aux spectateurs.
Pendant le meeting, y a plusieurs points
qui reviennent, dont certains semblaient réglés même avant qu’on ne vienne en
Écosse, faut dire que ça fait plus de six mois que Ben est en correspondance
avec Sara, des échanges de courriels, des appels skype et des périodes de
silences qui durent des semaines. Ça fait longtemps qu’il demande qu’un contrat
soit signé, c’était sensé se faire en arrivant ici, nous sommes la veille du
tournoi et Hubert et Ben doivent encore débattre et revenir sur des détails,
ils sont un peu découragés. Moi j’ai l’impression, comme les gars, qu’elle fait
tout pour retarder la signature, voire tuer le projet dans l’œuf. Et pourtant
quand il discute avec Benoit sur messenger, William se montre super
enthousiaste par le tournoi.
Au bout d’une heure, elle annonce qu’elle
doit quitter le bureau et qu’elle sera absente cet après-midi, il faudrait donc
que tout soit noté et lui soit remis, ensuite on pourra signer le contrat
produit par elle. En mon for intérieur, je suis convaincue que nous repartirons
à Montréal sans ce ?%$$%?$ de contrat. Demain, c’est le tournoi et Benoit se
bat avec l’équipe écossaise, clairement qu’il ne pourra s’occuper de ça. Nous
repartons lundi, mais nous quittons le terrain demain soir pour aller dormir
chez Dave qui viendra nous reconduire très tôt à l’aéroport, et je crois
qu’Hubert quitte lundi soir. Personnellement je trouve que c’est un grand
manque de respect de la part de Sara, d’être très peu disponible alors que nous
venons de traverser l’océan exprès parce qu’elle préférait qu’on procède de
cette façon pour signer le contrat. Y a aussi Hubert qui a quitté sa ferme en Pologne
en pleine saison agricole. Non seulement elle ne nous prend pas au sérieux,
mais en plus de faire poiroter Benoit depuis des mois, elle se montre distante
voire absente.
Nous retournons au campement pour que
Benoit puisse enfiler son armure avec le reste de l’équipe, le but étant de
faire quelques démonstrations aux visiteurs qui circulent un peu partout sur le
terrain. D’un commun accord, les non combattants, enfilons nos costumes pour
créer plus d’impact. Ainsi nous espérons que les visiteurs reviendront demain
avec des amis.
Son surnom: Fancy turkey (J'avais jamais vu des paons blancs) |
Comme nous attendons la lice qui doit
arriver au courant de la journée avec la majorité des Anglais, les démonstrations
de combat ne sont pas nombreuses. Toutefois, on fait beaucoup de « P.R »
(public relation)! Les gars montrent leurs armes et armures, on répond aux
nombreuses questions, on montre la solidité des casques et bien sûr, on me dit
qu’avec mes cheveux et ma robe je ressemble à Mérida. Moi qui croyais que mes
cheveux roux passeraient inaperçus en Écosse…oubliant un détail important, c’est
une princesse écossaise, tout le monde la connait ici.
En après-midi, je prends le temps d’aller
voir de plus près la chapelle. Son ancêtre, une abbaye, vieille du 9ième
siècle et tombée en ruines au début du 19ième a été complètement
rasée par le comte de Mansfield et remplacée par une petite chapelle. C’est à
cet endroit que furent couronnés tous les rois d’Écosse parce que c’est là que
reposait la pierre de la destinée, une pierre magique qui aurait été apportée
d’Irlande par les dieux Tuatha Dé Danann. Aujourd’hui, sa réplique est devant
la chapelle et pour celui qui ne connait pas son importance, c’est une grosse
pierre bien banale. Pourtant elle a légitimé tous les rois d’Écosse depuis le 9ième
siècle. En effet le candidat devait monter dessus pour se faire couronner, bien
sûr on pense aux histoires du roi Arthur qui doit sa légitimité royale aussi à
une roche (dont est tirée une épée).
Mais comment se fait-il que ce soit la
réplique qui soit ici me direz-vous? Elle est restée à cet endroit jusqu’en
1296, transférée alors en Angleterre par Édouard I comme
trophée de guerre, c’est pour dire que lui-même accordait une certaine
importance à cette grosse pierre usée. Peut-être avait-il compris aussi le
pouvoir politique que ce rituel pouvait lui apporter, puisque les rois anglais
furent à leur tour couronnés assis dans une chaise avec la pierre enchâssée
sous le siège. Bien qu’elle fût gardée ensuite à l’abbaye de Westminster à
Londres pendant 800 ans, les rois d’Écosse continuèrent quand même d’être
couronnés dans l’abbaye de Scone même s’ils n’avaient plus leur pierre.
Je ne peux parler d’elle sans raconter la
petite escapade dont elle fut l’objet en 1950, il y a d’ailleurs un film à ce
sujet « Stone of Destiny » que nous, Ben et moi, avions vu quelques années
auparavant et qui m’avait poussé à faire quelques recherches sur cette fameuse
pierre. C’est l’histoire (vraie) d’un groupe d’étudiants écossais nationalistes
et conscients de la puissance du symbole écossais et du pouvoir de ralliement
de la pierre de la destinée. Avec l’aide secrète de leur prof, ils échafaudent
un plan audacieux dans le but de voler la pierre qui est exposée toujours à
l’abbaye de Westminster. Leur ambitieux projet a pour but de redonner un
sentiment de fierté aux Écossais plutôt que le sentiment douloureux de leur
défaite face aux Anglais. Le jour de noël, la petite équipe réussit à entrer
dans l’abbaye, à récupérer la pierre qu’ils brisent en deux par accident et de
la rapporter en Écosse. Elle est cachée d’abord dans un champ, mais soucieux
qu’elle ne se détériore, l’apportent à un politicien qui l’a fait réparer et la
cache à son tour en lieu sûr.
En avril, gonflés de confiance par
l’opinion publique, et convaincus qu’on leur permettra de la garder, ils
installent la pierre dans un lieu significatif, à l’abbaye d’Arbroath, là même
où aurait été signée la Déclaration d’Indépendance de 1320. Malheureusement
quand la police londonienne est mise au courant, la pierre est rapidement et
discrètement rapportée à Westminster, on arrête les jeunes qui sont rapidement
relâchés sans accusation contre eux. Elle regagne sa place sous son siège juste
à temps pour le couronnement d’Élizabeth II trois ans plus tard, un
couronnement qui sera suivi par des millions de témoins puisque ce sera le premier
couronnement télévisé. Elle est couronnée Reine du Royaume-Uni (Angleterre, Pays
de Galles, Irlande du Nord et Écosse)
et des autres royaumes du Commonwealth (la liste est longue mais ça inclue le
Canada). Je trouve très paradoxal cette volonté de la monarchie de faire de ce
couronnement télévisé un grand pas dans la modernité alors qu’il repose sur un rituel
païen, vieux de mille ans.
En 1996, Élizabeth, dans un geste de magnanimité,
restitue la pierre aux Écossais, mais consciente du pouvoir symbolique
nationaliste, l’installe au château d’Édimbourg qui est relié à son propre
palais. Faut aussi dire que la capitale est plus anglaise que les villes plus
au nord comme Glasgow ou Perth, là où nous nous trouvons. Une seule condition a
été posée, c’est-à-dire que l’on ramène la pierre à Westminster pour le prochain
couronnement.
Toutefois, il y a eu et y a toujours des
rumeurs…paraîtrait que les souverains britanniques auraient été couronnés sur
un faux et que la pierre véritable aurait été cachée par des moines. Paraîtrait
aussi que certaines monnaies anciennes écossaises montrent le roi avec ses
symboles royaux et sous ses pieds, une pierre avec des motifs hiéroglyphes…et
il n’y en a pas sur celle qui est exposée dans le Crown room. Je l’avoue, je n’ai pas cherché les pièces en question
et j’aime bien penser que pendant 700 ans à Westminster on a couronné des
monarques sur une grosse roche sans valeur.
Parlant de rumeurs, de légendes et de
croyances populaires (ne jamais oublier qu’il y a toujours un fond de vérité
derrière chaque légende) y en a une que j’adore et en plus elle appartient au
lieu où je pose mes pieds actuellement. C’est la petite colline où se trouve la
chapelle et la réplique de la pierre, là où avait lieu le couronnement. En
effet, on appelle ce lieu moot hill
ou boot hill et tirerait son nom d’une
ancienne tradition qui me fascine parce que c’est à la fois très logique et
très poétique. Voilà, quand les nobles venaient jurer fidélité à leur roi, ils
apportaient un peu de terre de chez eux dans leurs bottes et prêtaient serment
sur ce qu’ils avaient de plus cher, leur terre. Aussi, on dit que les poignées
de terre déposées par tous ses vassaux venus des quatre coins de l’Écosse ont
fini par créer, avec le temps, une petite colline qui représentait toute l’Écosse.
Les rois ensuite couronnés sur cette butte, faisaient ainsi lors de ces
cérémonies, un engagement extrêmement symbolique envers le peuple écossais. Ça
devait être très cérémonieux!
Je mets fin à mes rêveries, mon estomac y
contribue pour beaucoup, c’est pourquoi je prends le bras que m’offre mon
chevalier pour retourner au campement qui a doublé de grosseur depuis ce matin.
C’est que la majorité des Anglais et des Gallois sont arrivés, y a quelques
petites roulottes et plusieurs tentes. L’ambiance est très agréable, et la
bonne humeur augmente à mesure que les canettes de bière se vident et que le
soleil descend sur l’horizon. Je me retrouve à bavarder gaiement avec deux
Galloises qui semblent être de mon âge, mon accent GSP se fait aller et je
réalise que je suis en mesure de parler de n’importe quoi et de rire beaucoup.
Je jette un œil un peu suspicieux au verre de vin que l’une d’elle m’a offert
et je réalise que tout comme le sien, il ne se vide jamais, ce qui explique pourquoi
nous rions aux larmes toutes les trois.
Ben vient me rejoindre et je sursaute
quand il me parle en français tellement je suis en anglais dans ma bulle, ce
qui nous amuse. On repart ensemble pour se trouver un coin et manger et on
retrouve Steve, quel bonheur de revoir cet ami, demain il arbitra les combats
mais ce soir on prend le temps de se détendre et de bavarder ensemble.
Un peu plus tard, nous nous retrouvons
collés moi et Ben sur un gros coussin sur le bord du feu à échanger avec les
autres autour. Je demande à Scott de me raconter la fête viking du feu chez lui
aux îles Shetland (extrême nord de l'Écosse) je ne comprends pas la moitié de ce qu’il me dit et ce, même
en concentrant toute mon attention. C’est qu’il a un accent très fort, et si j’ai
bien compris, même les Écossais plus au sud ne comprennent pas tout ce qu’il dit. Mais il
est si passionné quand il en parle et j’ai beau ne pas saisir, j’adore son
accent. Peut-être qu’à force d’écouter, mon oreille pourrait s’y faire et capter
un peu. Pour ce que j’en sais c’est que le festival Up Helly Aa viking est une célébration qui a lieu à la fin du mois
de janvier dans l’ensemble de l’archipel dont le but est de briser les longues
nuits d’hiver. Elle consiste à faire une procession avec flambeaux costumés en
viking et de terminer la parade par le lancer des torches afin d’embraser une
réplique de drakkar. C’est que la culture des Shetlands est marquée de son
héritage à la fois écossais et scandinave. La première procession a eu lieu en
1876 et la première embarcation fut brûlée en 1889.
Je me doute bien que ce que Scott raconte,
c’est tout le reste, le party qui vient avec ce rituel. J’en saisi des brides
ici et là, mais à voir la lueur qu’il a dans les yeux quand il en parle, je me
dis que je devrais visiter les Shetlands en hiver si je veux bien comprendre et
prendre mes propres photos, en attendant, vive Internet!