samedi 29 avril 2017

Réflexions sur l'oreiller...dans l'avion



Dans l’avion qui nous ramène, tous les quatre cette fois-ci, je repense à la fin de notre voyage et je me jure que la prochaine fois, parce que c’est certain qu’il y en aura une, je ne visite plus les paysages en voiture. C’est ce que nous avons fait la veille, car nous avions une journée de repos après le tournoi. L’erreur quand on voyage sur de courtes durées comme nous le faisons, est de vouloir voir le maximum de lieux dans un minimum de temps, dorénavant j’en ferai moins, mais le ferai comme il faut. Et puis, les paysages vus hier sont bien magnifiques, mais quand il pleut et qu’on les voit surtout à partir de la banquette arrière de la voiture, et comme moi avec un léger mal de cœur c’est plus ordinaire. Moi et Ben réalisons aussi de plus en plus, que loin d’être insensibles aux décors champêtres, nous préférons encore plus, les gens, les rencontres et donc les lieux où y a du monde, c’est-à-dire les villes. C’est pourquoi, il était hors de question que nous terminions cette journée sans aller prendre une bière et écouter des musiciens dans un pub typique à Galway.





J’ai entendu un jour quelqu’un dire, que la meilleure façon de profiter vraiment de notre voyage quand on manque de temps c’est en se disant qu’un jour on reviendra à cet endroit, ainsi on est moins dans l’urgence de ne rien manquer et on profite plus du moment. Dorénavant, je garderai toujours cela en tête.  Je me fais aussi la promesse de passer moins de temps à prendre des photos souvenirs de lieux et de profiter plus du moment présent pour l’imprimer dans ma tête. D’ailleurs ce que je ramène de plus beau dans mes bagages, ce sont ces nouvelles amitiés, ces rencontres avec des gens, avec l’histoire et des découvertes culturelles.  L’Irlande dans la globalité de ce que j’ai vu, entendu, observé, vécu, a été au-dessus de mes attentes déjà élevées depuis longtemps.

Ce matin, Lara et Brendan nous ont ramené à Dublin pour prendre notre avion, deux voitures étaient nécessaires pour les quatre Québécois, dont deux avec des armures. Nous sommes conscients de tout ce que nos nouveaux ami (e)s ont pu déployer comme énergie pour nous recevoir et nous en sommes très reconnaissants. J’espère avoir la chance d’en faire autant en retour, qui sait peut-être un petit voyage au Québec un moment donné où nous pourrions les recevoir.

Dans quelques semaines, nous avons un tournoi à New York et nous irons avec nos nouveaux combattants Vincent, Chloé et Mathieu, Luc nous accompagnera comme écuyer comme il l’a fait à Galway. Andrew ne peut suivre cette fois-ci, Phil, José et Serge demeurent absents, ceux-ci sont ailleurs dans leur vie et on se demande de plus en plus souvent si on les reverra en tournoi ou même en entraînement. Benoit met son énergie sur les nouveaux qui ont tous du potentiel, Chloé qui est une vraie sportive profite de toutes les occasions qui se présentent pour faire du béhourd, elle est solide, lutte bien et n’a pas peur des coups et des affrontements avec les gars. Aussi comme elle est une personne Asperger, on se demande parfois si par hasard ça a un lien avec sa capacité à recevoir des coups sans sembler en être affectée, elle est vraiment une combattante féroce. Vincent est grand et bien mince, à tel point que nous étions un peu perplexe à l’idée qu’il pouvait même porter une armure et pourtant, il fait partie de ces gens qui sont tout en nerfs et si les coups l’atteignent davantage à cause de sa frêle ossature, avec son cardio il fait un très bon « runner ». Mathieu est très costaud et vraiment solide sur ses jambes, Ben voit en lui un futur « lourd », ceux qui tiennent les adversaires pendant que leurs co-équipiers frappent pour faire tomber la victime. Tous les trois proviennent de la SCA, donc comprennent le concept du costume historique, mais ils sont encore jeunes ce qui veut dire bien souvent en début de vie adulte, une période déterminante pleine de choix (études, premier appart, premier vrai conjoint, même parfois premier bébé, etc.). L’argent ou l’absence de, peut être un gros obstacle, surmontable, mais faut être assez motivé pour trouver des solutions afin de pouvoir pratiquer ce sport. En effet, le béhourd présente plusieurs aspects qui peuvent freiner les ardeurs des combattants, et c’est en quelque sorte là où l’on reconnait les vrais passionné(e)s. Y a les coûts reliés à l’équipement et les tournois, la disponibilité pour les entraînements, le voyagement, les conjoints qui interviennent aussi et qui ne comprennent pas toujours. Y aussi le travail et les études, mais aussi la peur des blessures, car pour pratiquer ce sport de combat à l’image de n’importe quels autres comme la boxe, la lutte, le muay thai, par exemple, eh bien faut accepter l’idée qu’un jour ou l’autre il y aura à coups sûrs des blessures. Malgré l’armure et les épaisseurs de gambison, la coquille ou le protège-dents, il y a toujours des risques de foulures, de fractures, de commotion, d’insolation car si l’armure est là pour protéger, elle peut devenir une ennemie, si elle est mal ajustée à celui qui la porte, de la chaleur qu’elle génère avec le gambison, de certaines pièces qui se brisent ou qui sont mal installées ou même de son poids qui peuvent accélérer une chute ou aggraver une foulure.

L’argent et/ou le temps sont les facteurs les plus courants qui mènent à l’abandon de ce sport, dans notre cas, de l’argent il n’y en a pas beaucoup, en revanche on consacre beaucoup de temps à fabriquer notre matériel, bien sûr de mon côté je m’occupe de tous nos costumes et des « gambisonnages » de Benoit. La seule fois où il s’est acheté une armure, il a voulu encourager quelqu’un du Québec et il a eu la mauvaise expérience d’en recevoir une mal ajustée et fabriquée avec du matériel cheap ou usagé. Comme les armuriers au Québec sont très rares, Serge ayant passé à autre chose, les bons armuriers sont rares, les combattants sont donc pris en otage entre le peu de compétition ici et les artisans en Europe ou aux États-Unis, donc l’achat par Internet ou sur place lors des tournois auprès des marchands qui y ont leur kiosque.  Si quelqu’un veut développer ce marché ici en toute honnêteté, go y a de la place! Cependant, de son côté, Benoit doit composer avec des pièces d’armures qu’il compte remonter lui-même, cette fois-ci sur du matériel solide et en attendant d’avoir beaucoup de temps, il emprunte le plastron de Phil (qui ne s’en sert pas) et ajuste et répare lui-même les petits bobos.

Si son armure n’est pas complètement à lui, en revanche, ses pièces de gambison sont fabriquées par moi et pour lui. Ça semble bien banal mais il n’en est rien, du moins pour nous deux. Lorsque j’ai fait sa pièce de tête, je m’étais piqué les doigts à plusieurs reprises car je devais faire beaucoup de couture à la main pour assembler des pièces trop épaisses pour ma machine. Je lui avais dit que son gambison était « marqué » de mon sang et de ma sueur, il m’avait alors demandé de glisser dedans une mèche de mes cheveux. J’avais trouvé cela tellement romantique et surtout très à propos pour cette activité. Je coupai donc une mèche et la glissa à l’intérieur, puis au printemps dernier quand j’avais fabriqué son gambison de corps, encore très affecté par la perte de notre chien, il m’avait demandé d’y glisser une touffe de son poil (j’en avais coupé une grosse touffe à son décès). J’avais donc fabriqué une petite pochette pour la glisser dedans puis cousu la pochette à l’intérieur du gambison, ainsi il continuerait d’être avec lui d’une certaine façon. Ces ajouts sont très symboliques et romantiques dans le vrai sens du mot. Ces vêtements ont donc une très grande valeur et quand il les revêt avant d’aller se battre, c’est un peu comme s’il se couvrait d’une protection invisible car chargée d’amour pour lui.


Contrairement à la plupart des combattant(e)s, Benoit a la chance d’avoir comme conjointe, sa partenaire aussi dans cette aventure, je suis donc en mesure de comprendre et d’accepter que notre samedi soir soit consacré à de la confection et des réparations, que notre fin de semaine de libre implique un tournoi à cinq heures de voiture, que le dimanche après-midi ait lieu un entraînement, qu’une partie de notre budget serve à l’achat de tissu, de cuir, d’outils. De mon côté, j’ai suffisamment de travail à y consacrer en plus de la couture, je prends des tonnes de notes, de photos et vidéos; je m’occupe d’appeler les assurances dès que nous sortons du pays pour les risques de blessures, je veille à la bouffe sur la route pour éviter trop de frais, je dresse des listes de musiques mais surtout je me tiens en totale réceptivité pour absorber toute nouvelle information pour un jour mettre tout ça par écrit et devenir une référence sur le sujet.      

jeudi 13 avril 2017

Irlande, fin de tournoi, mais début d'une grande amitié



Dimanche matin, deuxième et dernier jour de tournoi, c’est tranquille du côté des admissions des spectateurs, on me dit que c’est normal puisque plusieurs, sont à l’église pour la messe dominicale. Ainsi, les Irlandais ont moins coupé les liens que nous au Québec, avec le catholicisme. Bien sûr, beaucoup de Québécois continuent de se tourner vers l’Église catholique pour ses rites de passages, le baptême, le mariage et pour ses rites funéraires, certains y vont encore pour la messe de minuit à noël, mais les ventes multipliées d’églises depuis la Révolution tranquille, ou leur reconversion à d’autres religions plus récemment, prouvent leur obsolescence en sol québécois.

Pendant que les gars mettent tranquillement leur armure, moi je me promène un peu parmi les quelques tentes disposées autour de la lice, elles sont occupées par des gens qui font de la reconstitution historique, ici, des soigneurs, là un marchand d’arme et plus loin des musiciens. Je fais la connaissance de Caroline Walsh, qui m’est immédiatement sympathique, elle prend depuis hier des centaines de photos, je dialogue un peu avec elle, mais son accent irlandais est si fort que j’ai du mal à suivre. Toutefois, c’est une dame tellement expressive, drôle et colorée, que j’arrive à comprendre des brides. J’ignore quel est son rôle auprès des combattants de l’équipe irlandaise, est-ce leur photographe, celle du château, travaille-t-elle pour le journal local? Aucune idée! Mais ses photos sont superbes, je peux en voir un aperçu lorsqu’elle me montre quelques clichés qu’elle a pris de Benoit et de moi.





Maria, la copine de Brendan et Lara sont comme moi, assez disponibles pour bavarder un peu, même Benoit à moitié armuré, intervient ici et là dans nos conversations en attendant que les combats débutent. Nous nous habituons à fonctionner avec la vitesse irlandaise no stress, c’est pas aussi facile qu’on le pense aussi surprenant que ça puisse l’être. Nous sommes tellement conditionnés à courir constamment après nos horaires, à la minute près, ça nous épuise sans qu’on ne s’en rende compte bien souvent. Brendan nous racontait une anecdote qui illustrait bien ce propos : qu’en Irlande, si quelqu’un est arrêté sur la route, coincé derrière un tracteur, il ne va pas klaxonner, mais plutôt attendre patiemment, voire sortir pour aller voir ce qui se passe et si le conducteur n’a pas besoin d’aide, et il n’est pas rare qu’il se mettent à bavarder ensemble, d’autant plus qu’ils se connaissent probablement si ça se passe loin de la ville. Les gens n’accordent pas autant d’importance aux horaires parce que des imprévus ça arrive et ils apportent parfois des belles rencontres ou des surprises, mais surtout faut faire avec. Depuis que je suis ici, j’ai l’impression que les Irlandais vivent plus au jour le jour, sans trop prévoir d’avance. J’ai la sensation d’être un paquet de nerfs à toujours me demander qu’est-ce qu’on fait, où allons-nous, que mangerons-nous, etc.

Ça sent justement très bon quand on approche de la salle où l’on sert du thé, café et des gâteaux, en fait juste à côté, on a emménagé un coin bouffe pour accueillir un traiteur indien, je crois bien que je vais revenir un peu plus tard. Pour le moment, je vais rejoindre les spectateurs et m’installer au bord de la lice pour voir les prochains combats. Je dois faire attention à ne pas glisser, tout est en gazon et évidemment c’est mouillé, le sol surchargé d’eau est un peu spongieux et je me demande si mes chaussures médiévales en cuir vont survivre à ce traitement. Je me souviens la deuxième fois que j’avais vu l’équipe irlandaise, la première fois étant en Espagne, nous étions à Malbork et j’avais été impressionnée par leur costume historique, particulièrement leurs patins comme on en portait au Moyen âge. Je m’étais dit qu’ils avaient atteint un summum au niveau historicité dans leur tenue vestimentaire. À mon souvenir, je n’avais vu cette coquetterie aux pieds de personne d’autre qu’eux.

Aujourd’hui, avec ce sol, je me dis que ça va de soi, j’en porterais bien une paire pour protéger mes souliers, mon bas de robe et pour m’assurer une démarche un peu moins chaotique. Ce n’est guère étonnant que cet accessoire ait été rapidement adopté par nos amis irlandais qui vivent avec la pluie les deux tiers de l’année. Probablement qu’avec un peu de pratique je pourrais arriver à m’en faire une paire.


Ooooooh!! éclate la foule, Andrew et son adversaire viennent de briser la bande de la lice en tombant lors de leur duel, elle a fini par céder par tout ce poids. Un petit arrêt d’une quinzaine de minutes et elle est réparée, le combat peut reprendre pour le grand bonheur de la foule qui a grossit depuis ce matin. Les gens sont encore tout aussi enthousiastes qu’ils l’étaient hier, et je crois bien que les plus grands supporters sont les parents de Brendan, ils m’ont été présentés un peu plus tôt et je les ai trouvés instantanément sympathique. Ils encouragent tous les combattants sans exception, ça m’a un peu surpris d’entendre « Let’s go Benoit !! » dans la foule, c’était eux. C’est drôle mais ça m’a fait chaud au cœur d’entendre son nom scandé par des inconnus. Nous sommes si habitués, d’avoir peu d’encouragement chez-nous, de la part des spectateurs mais aussi de la part de nos proches qui de façon générale ne viennent pas voir ce qu’on fait. Combien de fois, ça m’est arrivé d’avoir l’impression d’être incompris. Un brin de condescendance ici, un sourire en coin comme on le ferait avec des gens un peu simplets, quand on parle de nos expériences, familles et ami(e)s confondus, et Dieu seul sait qu’il y en a des gens autour de nous! Je peux compter sur les doigts d’une seule main, ceux qui sont déjà venus assister aux démonstrations ou tournois. Alors vous imaginez bien que de voir les parents d’un combattant, venir encourager chacun des neufs combattants, pendant tout le tournoi, je trouve ça vraiment touchant.







Je me dis en mon fort intérieur, qu’un tournoi mondial d’IMCF ici en Irlande, pourrait être bénéfique pour tous les combattants qui vivent cette même solitude dans leur passion quand ils sont chez eux. C’est peut-être un peu pour cette raison qu’ils sont si amicaux entre eux, tellement heureux de retrouver enfin des semblables qui les comprennent. Néanmoins, nous l’observons aujourd’hui, les Irlandais sont d’excellents spectateurs, parce qu’ils ont compris que c’est un sport et ils agissent en conséquence, au grand bonheur des combattants. Aujourd’hui, ceux-ci sont particulièrement amicaux, ne se prenant pas trop au sérieux et s’amusant comme des fous.

Je me sens privilégiée d’être en position de bien connaître ce sport à force de vivre et de voyager avec l’un d’eux, de veiller aux soins, de coudre pour eux, de les observer surtout. Et même si je ne pratique pas ce sport, je peux arriver à imaginer, le poids de l’armure, la respiration ardue à l’intérieur du casque, le retentissement des coups douloureux quand c’est reçu là où c’est moins bien protégé, la transpiration qui colle sous le gambison pendant l’attente, la peur devant un adversaire dont on ne voit pas le visage, l’odeur de l’acier et aujourd’hui, l’odeur de la terre mouillée quand tu tombes en pleine face. Bref, beaucoup beaucoup d’inconfort que moi-même je ne supporterais pas, mais j’ai beaucoup d’imagination qui me sert et c’est tant mieux.



Les combats s’achèvent et Eamonn, vient remettre les médailles et le trophée, Ben n’en reçoit pas, c’était sa première expérience en duel après sa défaite au tournoi hivernal d’il y a deux ans contre le mastodonte américain, Andrew n'a pas gagné de combat non plus, et c'est un des deux trios irlandais qui remporte le trophée pour les combats d’équipe. Ben et Andrew n’avaient pas beaucoup d’espoir, c’est toujours plus difficile de combattre en équipe formée de dernière minute, mais de toute façon le plus important pour eux c’était de vivre cette expérience en Irlande avec nos nouveaux ami(e)s. Andrew fait un petit discours de remerciement à l’équipe irlandaise pour leur accueil chaleureux, Eamonn en fait un lui aussi et nous remercie pour le drapeau du Québec que nous lui laissons, il nous dit qu’il sera hissé en haut du château le jour de notre fête nationale, à la Saint-Jean-Baptiste.



La foule se disperse tranquillement pour s’en retourner terminer leur fin de fin de semaine à la maison ou au pub, ici les gars sont au summum de leur moment interminable de post combats qui ne finit plus de finir, et moi je m’engouffre aux cuisines où Eamonn nous offre de cette fameuse bouffe indienne qui est venue me chatouiller les narines et titiller mon estomac une partie de la journée. Le traiteur a laissé tout son stock d’invendu, le bonheur! En ce moment même, je me dis qu’ils peuvent bien mémérer tout le reste de la journée, moi je ne décolle pas d’ici. Mais évidemment y a pas de meilleur signal d’appel pour un homme que la bouffe, et en quelques minutes, mon chum apparaît comme par magie avec quelques-uns de ses semblables, sans armure mais certainement pas changés et frais comme des roses. Dans la vie y a des priorités, et même les discussions aussi passionnantes soient-elles ne valent pas un bon snack.  J’avale à la vitesse grand V mon bol de riz indien et de poulet au ghee et j’accepte volontiers, la tasse de thé qu’on me propose. Je m’installe dans un fauteuil égoïstement, je n’ai pas envie de me tenir debout dehors au froid et à l’humidité à attendre que les gars aient épuisé tout leur reste de répertoire de récits de combats depuis deux jours...que je comprends à moitié. Bien sûr vous me direz que c’est une belle occasion de pratiquer mon anglais, d’en connaître davantage sur leur activité, etc. Mais… juste non. Je préfère les analyser en les regardant par la fenêtre, leurs gestuelles parlent pour eux-mêmes de toute façon. Une chose est sûre, ils sont heureux comme des gamins, et ça, dans le monde où l’on vit, c’est important, de retrouver cette part d’enfant en nous au moins de temps en temps, peu importe ce que les «adultes» en diront.  

mardi 11 avril 2017

Le château de Claregalway



Le château de Claregalway construit dans la première moitié du 15ième siècle a été la forteresse de la puissante famille Clanricarde De Burgo ou Burke jusqu’au milieu du 17ième siècle. Les Burke sont les descendants de William de Burgh, un chevalier qui a participé à l’invasion anglo-normande de Connacht au début des années 1200. Comme la plupart des châteaux, il est situé sur un point stratégique d’une rivière d’où il pouvait contrôler les routes de l’eau et ainsi exiger des péages. Le seigneur du château maintenait l’autorité de sa famille sur la région avoisinante. Si bien qu’à la fin du 16ième siècle, il y avait un réseau de châteaux appartenant à la puissante famille. Malheureusement, le seigneur Ulick Finn Burke, est à l’origine de l’une des plus grandes batailles de l’histoire irlandaise médiévale, la bataille de Knockdoe en 1504, qui impliqua environ 10 000 combattants. En effet, une histoire d’adultère aurait mis le feu aux poudres, officiellement, Ulick Finn Burke aurait dépassé agressivement son autorité dans le Connacht, mais la vraie raison est qu’il aurait eu une liaison avec la femme d’un autre seigneur qui exigea ensuite justice. Ce seigneur cocufié pu obtenir de l’aide militaire du frère de l’épouse trompée. Pendant que les seigneurs rassemblaient des alliés dans toute l’Irlande, Burke buvait et jouait aux cartes avec ses hommes, et ce qui devait arriver arriva, l’affrontement fut un terrible massacre et l’armée de Burke fut vaincue. Le seigneur défait, survécu tout de même, mais certains de ses enfants furent pris en otage par le seigneur beau-frère. (probablement ses propres neveux et nièces).

            Son digne petit-fils, Ulick na gCeann Burke, aussi amateur de femmes et connu sous le nom de «Ulick of the heads» à cause de sa prise de nombreuses têtes d'ennemis vaincus, était un opportuniste dans l’Irlande affaiblie face à l’Angleterre par leurs propres guerres intestines et querelles de succession. C’est pourquoi il a cru bon d’épouser une riche veuve anglaise de la ville de Galway, Dame Marie Lynch qui a pu l’aider à se préparer à l’étiquette anglaise et lui apprendre des rudiments de la langue qu’il ne parlait pas, ne parlant que le gaélique et le latin. Il alla donc à la rencontre d’Henri VIII à Greenwich et avec d’autres seigneurs irlandais se soumis et reconnu son autorité en tant que roi d’Irlande. En échange il se fit offrir des terres et des propriétés près de Dublin et se fit accorder des titres anglais en abandonnant ses titres irlandais. Il reçut aussi du roi la fameuse harpe de Brian Boru (premier roi suprême d’Irlande de 1002 à 1014) mais qui n’a apparemment aucun fondement historique avec ce roi, la harpe daterait plus ou moins du 14ième siècle, mais elle serait la harpe qui symbolise l’Irlande aujourd’hui.

            Malheureusement, Ulick, comme son aïeul, aimait un peu trop les femmes, en plus d’épouser cette veuve, il avait déjà deux autres femmes : Grainne O'Carroll et sa cousine Honora De Burgo. Ce qui fait que par la suite, il y eu des guerres de succession entre les fils de ces différents mariages, et Connacht en subi les conséquences, bien qu’en bout du compte, le château est demeuré aux mains des Burke, jusqu’en 1651. Ulick Burke (oui un autre du même nom), le successeur, commandant royaliste en Irlande pour le roi Charles 1er Stuart, donc fidèle au roi d’Angleterre, combattit Oliver Cromwell dans la guerre civile anglaise qui s’était étendue jusqu’en Irlande. Finalement, le seigneur irlandais perdit son château lors de la défaite, après un assaut qui dura neuf mois, même si Galway fut tout de même la dernière ville d’Irlande à céder aux forces cromwelliennes. Et aux cours des décennies suivantes le château fut laissé un peu de côté d’un point de vue politique, mais il semble avoir été maintenu périodiquement en activité, pour des garnisons militaires, comme prison, de refuge ou même de gîtes.




            Nous sommes à la fin de notre visite et dans cette grande salle magnifique où on peut imaginer un feu brûler au centre pendant que la fumée s’échappe dans l’ouverture du plafond cathédral, Eamonn nous fait monter tout en haut dans les balcons. Il nous raconte que le château a été si souvent déserté par tous les hommes partis en guerre, parfois tous morts, que ce fut les femmes qui gérèrent la forteresse la plupart du temps. Et grâce à elles, le château de Claregalway fut longtemps un lieu enrichissant du point de vue culturel. Ces dernières organisaient des fêtes ou des pièces de théâtre sur le plancher, près du feu, et les spectateurs prenaient place exactement à l’endroit où nous sommes assis. De nombreux bardes y sont venus divertir raconter et chanter accompagnés de leur harpe ou de celle de Brian Boru. Notre visite s’achève, mais auparavant, notre guide veut nous montrer la ville à partir d’un endroit sur les remparts. Nous marchons à la queue leu-leu dans la petite allée étroite à ciel ouvert, c’est magnifique, c’est vertigineux, la hauteur, le vin, l’expérience en soi ?


            La soirée se termine sur la petite terrasse à discuter, un verre de vin à la main avec un ami du Dr Eamon Donoghue, un professeur d’histoire à l’université de Galway qui a d’ailleurs participé à la restauration du château en tant que conseiller. Nous avons une discussion super passionnante à propos de l’histoire du château mais aussi de l’histoire du Québec et du béhourd. Il nous parle de cette jeune infirmière québécoise dont son grand-père est tombé amoureux à l’hôpital militaire lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Son aïeul décédé aujourd’hui, a gardé toute sa vie sa correspondance écrite avec cette dame. Son petit-fils l’a apporté car il savait qu’il y aurait des Montréalais au tournoi, et comme l’adresse est à Montréal, peut-être pourrions-nous l’aider ? Nous sommes emballés même si je ne comprends pas tout ! Je suis fascinée de voir à quel point mon chum réussit à me traduire ce que je ne comprends pas, à traduire en anglais mes questions ou mes réflexions, à répondre lui-même aux questions, à émettre ses opinions et ses connaissances. Nous plongeons ensemble dans ce morceau d’histoire, la petite histoire des gens, celle qui ne passera pas dans les manuels pédagogiques et pourtant la plus réelle, parce qu’elle n’est pas assez importante pour être manipulée maintes et maintes fois à des fins politiques ou religieuses. Je ne peux m’empêcher de parler à ce collègue historien du journal intime de mon arrière-grand-mère, des milliers de pages écrites dans des carnets qui font état de son quotidien sur plus de 40 ans. Je reconnais cette lueur du chercheur enthousiaste dans les yeux de mon collègue historien. Ah ! Comme nos aïeuls nous font vivre des sensations fortes ce soir !

samedi 8 avril 2017

Irlande tournoi jour 1



La journée est grise et humide pour accueillir ce premier jour de tournoi, mais ça ne semble influencer aucunement les spectateurs qui commencent à arriver en petit groupes. Nous nous sommes levés tôt, après une bonne nuit de sommeil, nous sommes motivés et bien reposés. La bonne humeur générale contraste radicalement avec la température, mais au fond, ça confirme ma perception des Irlandais face au malheur et aux désagréments de la vie.



Le château de Claregalway qui reçoit le tournoi, est bien aménagé pour l’événement, le propriétaire a prévu une pièce destinée aux combattants pour que ceux-ci puissent se changer au sec. Il y a aussi une salle adjacente à une petite cuisinette pour les employés du château où l’on peut se faire du thé, se chauffer un lunch au four micro-onde, manger, etc. La salle d’à côté est particulièrement invitante pour la frileuse que je suis, car elle bénéficie d’un beau foyer auprès duquel je me tiens souvent. Au mur, une grande tapisserie comme on en trouvait au Moyen âge et qui représente tous les personnages qui interviennent à toutes les étapes de la fabrication du vin, du vigneron jusqu’au serviteur qui verse le vin. Je prends conscience en observant cette tapisserie, à quel point, le chapeau est omniprésent et varié! En y pensant bien, je me rappelle que se promener nue tête est une pratique assez récente dans l’histoire de l’humanité. Et s’il y a une période riche dans l’histoire de la mode des chapeaux, c’est bien au Moyen âge. Pourtant, c’est l’accessoire que l’on retrouve le moins dans le milieu médiévaliste d’aujourd’hui. Je me promets bien de m’y mettre et d’essayer d’en fabriquer avec mes prochains costumes. Ça finit tellement bien le look!


C’est un petit tournoi assez modeste, qui réunit deux équipes de trois combattants irlandais et l’équipe de Québéco-anglaise, composée de Benoit, d’Andrew et d’un Anglais. Les gars font quelques combats et je suis surprise de voir l’enthousiasme des spectateurs. J’observe aussi que ces parents et leurs enfants, suivent les combats comme ils le feraient pour n’importe quelle rencontre sportive, ils ne semblent pas liés par ce tabou à propos de la violence, un tabou que j’aie pu constater au Québec. En effet, chez-nous il y a souvent un certain malaise entourant ces combats, les quelques spectateurs ( «curieux» serait plus approprié) regardent comme ils le feraient d’un film un peu dérangeant et semblent n’y voir qu’une démonstration de force et de violence, ils n’interviennent pas ou peu, même si les yeux sont grands ouverts. Alors qu’ailleurs, et aujourd’hui ici à Claregalway, c’est une joute sportive intense en sensations fortes à laquelle les spectateurs assistent. Ils acclament, ils s’indignent, ils s’emportent, ils encouragent comme ils le feraient dans les estrades pour une partie de foot.





De temps en temps, il y a une petite pluie fine et passagère, un crachin comme on dit chez-nous, qui laisse le gazon trempé et toute cette humidité de septembre me donne froid. Je fais beaucoup d’allers et retours entre la lice et le foyer à l’intérieur, étrangement je semble être la seule que ça incommode, même les spectateurs ouvrent leur parapluie ou remonte le capuchon de leur imperméable le temps que la pluie cesse, sans quitter les abords de la lice. C’est pour dire à quel point, ils y sont habitués, et c’est comme au Québec avec le froid et la neige, ça dure si longtemps, nous avons appris à vivre avec. Les combattants s’accommodent bien du temps frais et même de l’humidité du moment qu’ils bougent. Luc s’occupe des gars, attache le dos de leur armure, les aide à mettre certaines pièces, apporte de l’eau, mais comme il n’y a pas beaucoup de combats, il comble aisément son poste sans moi. Je suis libre comme l’air, je prends quelques photos (mais au final je garderai celles de Caroline Walsh, si magnifiques) j’observe tout!



Vers la fin de l’après-midi, on annonce la fin des combats, ils se poursuivront le lendemain. J’ai froid et j’ai faim, je commence à me demander où nous irons manger, j’attends que mon chum vienne me rejoindre dans la salle au foyer malheureusement éteint depuis un bon bout de temps. Il se passe une éternité et demi entre le moment où les combats ont pris fin et celui où Benoit vient me rejoindre, vous vous souvenez? Les moments post combat qui sont sans fin ?! Brendan nous convie à un souper dans la salle où nous nous trouvons dans le château. Nos amis Irlandais veulent nous éviter des frais et c’est une belle occasion de finir cette journée par un souper rassembleur aux spaghettis. Quelques-uns d’entre eux s’affairent dans la cuisine à la préparation du repas. Le châtelain, Eamon, va chercher plusieurs bouteilles de vin directement dans sa cave personnelle, et les dispose sur les tables où une vingtaine de personnes sont assises. Il nous propose une visite de son château après le souper, c’est lui-même qui sera le guide.Les discussions sont animées autour des deux grandes tables rondes, comme toujours lorsqu’elles ont lieu après les combats. J’en ai parlé déjà de cette camaraderie vraiment très intense et surprenante entre gars qui se battent aussi puissamment. Je me demande toujours si le degré de camaraderie va de pair avec l’intensité du sport en question. Les gars (pour l’instant je n’ai pas encore assez vu de filles interagir entre elles pour les inclure dans ma théorie) entre eux n’hésitent pas à révéler leurs trucs, quelle méthode l’un a utilisé pour mettre KO son interlocuteur quelques heures avant, ou bien comment il a fabriqué une pièce de son équipement, quel fournisseur d’arme il a contacté, etc. Pour le témoin, moi en l’occurrence, c’est un non-sens, de donner des munitions à celui qui te tiendra en joue. D’un point de vue extérieur, on se dit que c’est pas bien brillant, que l’enthousiasme de fin de tournoi délie les langues, et que les combattants, dans leur bonne humeur, oublient la prudence. En fait, il n’en est rien, si l’esprit de compétition est bien présent, je crois que le désir et l’espoir de faire naître définitivement ce sport, de le sortir de l’ombre est bien plus fort, même s’ils n’en sont pas toujours si conscients. Plus y a de rencontres, plus y a de lieux disponibles, plus y a de combattants et plus y a de techniques, plus le sport a de chance d’être connu et d’être pratiqué. Cette motivation commune peut être très rassembleuse. Il y a certainement une part de reconnaissance, de retrouver d’autres semblables dans ce monde encore un peu « underground ». Bien sûr, c’est aussi une passion commune qui souvent dépasse le combat puisqu’ils partagent une base de références culturelles, l’intérêt pour le médiéval, les films, les livres et les jeux épiques héroïques. Les pratiquants proviennent généralement soit des clubs de reconstitutions historiques et/ou des Grandeurs nature et/ou de la SCA et/ou quoique à plus petite échelle du milieu du sport de combat.

Néanmoins, il reste que ce sport est encore trop rattaché au combat d’épées mousse des GN, et ironiquement, si une bonne partie d’entre eux proviennent de ces milieux, il y a assurément une volonté commune de sortir le béhourd de cette catégorie et d’être pris au sérieux, tel un sport de compétition et non plus issu du jeu de rôle ou de la démonstration historique.

Pour le moment la bonne humeur augmente à mesure que le vin diminue dans les bouteilles, et Eamon nous propose de nouveau sa visite, ce que tous acceptent avec enthousiasme. Je vérifie l’état de mes jambes, le vin ne les a pas trop ramolli encore, je sais qu’on va grimper dans la tour et que les escaliers peuvent être un peu tortueux, mais j’ai mon chevalier avec moi, je suis en sécurité.




Notre hôte a été des années auparavant, chirurgien pédiatrique aux États-Unis, puis est venu s’installer en Irlande après avoir acheté ce château qui était dans un piteux état, en effet, ses fondations abandonnées depuis longtemps avaient servies de refuge aux fugitifs de l’IRA. Il l’a rénové complètement en respectant l’historicité et selon les normes architecturales originales, c’est-à-dire, gaéliques, et non pas anglaises. Il nous raconte ses mésaventures avec un pallier du gouvernement en désaccord avec ses rénovations, alors que d’un autre, on louangeait son apport à la culture gaélique. Le meilleur exemple est le foyer qu’il a fait reconstruire au moment des rénovations, comme les Gaëls le faisaient c’est-à-dire au centre de l’espace commun, et non pas contre un mur. Il évoque les bardes qui s’y tenaient et que tous écoutaient religieusement, lui-même est d’ailleurs excellent dans l’art oratoire, je n’ai aucun mal à l’imaginer raconter les exploits de son seigneur ou les légendes mythiques de Cuchulainn,  la magie opère à merveille.

Dans les salles, il a disposé des meubles antiques rares et vieux de quelques siècles et lorsqu’un de nous gronde son enfant parce qu’il s’est assis sur l’une de ces chaises, notre hôte intervient pour nous informer que ces meubles sont là pour servir, que non seulement nous pouvons nous asseoir dessus, mais qu’il est même préférable de le faire, si l’on veut comprendre les gens contemporains de cette époque. On ne peut comprendre l’histoire si on ne s’en couvre pas un peu, si on ne tente pas l’expérience. Voilà! Ah!! Un historien dans l’âme, doublé d’une perception anthropologique, je sens que je vais bien m’entendre avec ce monsieur.  
    

samedi 1 avril 2017

Irlande partie 3



Avant de repartir nous achetons quelques trucs au marché pour le souper et le petit déjeuner du lendemain matin, les prix sont pas mal similaires à chez-nous, on n’est pas trop dépaysés. La soirée se passe chez Lara à relaxer, Ben et Andrew défont leurs bagages et veillent à ce que tout leur équipement pour le tournoi du surlendemain, soit prêt à servir. Comme moi, Benoit adore les animaux, et c’est avec bonheur qu’il va jouer dehors avec Kaï qui est tout en réjouissance de rencontrer un nouvel ami aussi actif que lui. Lara sort aussi de sa grande cage extérieure, Tony sa petite chouette qui semble bien apprécier toute cette attention qu’on lui porte.
  
  Avant de nous coucher, nous nous battons un peu avec nos adaptateurs, c’est vraiment la première fois que nous voyons ce type de prise d’électricité et nous mettons un moment avant d’être en mesure de brancher nos chargeurs pour le portable et mon BlackBerry. Nous avons aussi étendu nos serviettes de douche pour les faire sécher, mais c’est si humide, même malgré le calorifère que nous avons ouvert. Nous finissons par nous engouffrer de plaisir sous la grosse couette et dormir comme des bûches jusqu’au petit matin.

Quand nous nous réveillons, nous voyons Lara et Kaï entrer dans la maison, ils reviennent d’un p’tit jogging matinal, l’air semble frais et humide, comme ma serviette qui n’a pas séché du tout. Tant pis, ce soir peut-être, du moins on l’espère, car la sécheuse de Lara est défectueuse et à quatre invités, elle va vite se retrouver sans aucune serviette. Nous allons les rejoindre dans la cuisine et sommes bientôt rejoint par Luc et Andrew qui ne semble pas super à l’aise lui non plus avec le gros toutou. Lara a décidé de nous faire goûter quelques spécialités irlandaises dont le black pouding (en genre de boudin avec des herbes et des épices), des saucisses et des beans. Je goûte, j’adore les saucisses, mais pour le reste je préfère me rabattre sur un fruit, du fromage et du pain. Pour moi, les beans c’est à la mélasse avec du porc et du lard salé et non pas avec une sauce tomate, je laisse aux autres. Nous avons oublié qu’ici, les gens boivent surtout du thé, Lara a un peu de café instantané, mais n’est certainement pas équipé pour que nous achetions du café perco. Nous allons nous rabattre sur du thé et prendrons un vrai café dans un restaurant, comme on dit « En Irlande faisons comme les Irlandais! ».  

En jetant un œil sur la maison du voisin, visible par la fenêtre de la cuisine, ma réflexion à propos des maisons sans adresse me revient et j’en parle à Lara. Elle m’explique : Dès qu’on sort des grandes villes, les maisons n’ont pas d’adresse ou parfois elles portent un nom qui est inscrit sur un petit panneau décoratif (nous avions déjà vu ça aussi en Belgique en Flandre). Je lui demande comment se fait la distribution du courrier, et c’est là que ça devient intéressant. En effet, les facteurs connaissent tous les gens sur leur circuit et les gens écrivent le nom du destinataire et du village avec parfois quelques indicatifs sur leurs enveloppes. Comme par exemple « la maison jaune avec deux chiens » ou « avec un vélo rouge » « avec un muret de pierres» (bon c’est pourtant vraiment très commun ici, y en a partout!). Elle ajoute qu’ils viennent juste de recevoir un code postal. Mais c’est pour dire deux choses : La population n’est vraiment pas très grande mais surtout, les gens se connaissent et ainsi connaissent souvent la situation de leurs voisins. Lara nous raconte qu’il est à peu près impossible de sombrer dans la misère et la pauvreté ici parce que les gens s’entraident beaucoup. Par exemple, quelqu’un laissera un sac de provision anonymement sur le balcon d’une personne dans le besoin, ou tout autre service gratuit sans aucune attente en retour. Ça rejoint mes réflexions à propos du passé catastrophique particulièrement la grande famine du 19ième siècle qui a décimé ou mené à l’exil plus du tiers de la population irlandaise, laissant la majorité des catholiques restante dans la misère. Les gens se souviennent ou du moins ils portent en eux cette philosophie de vie parce que ça s’est inscrit tout naturellement.

Lara nous propose une promenade juste de l’autre côté du chemin, dans les tourbières, avec ce soleil pâle et matinal, avec Kaï qui trottine avec nous, ça sera génial.






Nous sommes fascinés par les tourbières mais encore plus en sachant que ce mode de chauffage vieux de plusieurs siècles est encore utilisé assez couramment dans les maisons. La méthode consiste à couper la terre en brique, les laisser sécher (ce qui reste pour moi un mystère encore, ça doit prendre une éternité!) et s’en servir comme d’une bûche. L’odeur dégagée de ces feux de tourbe est particulière et bien typique de l’Irlande. Les tourbières se retrouvent dans les endroits humides, c’est pourquoi il y en a beaucoup sur cette île.  C’est dans la région du Connemara, où nous sommes, qu’elles sont principalement. Je ne peux m’empêcher d’ajouter ici une explication un peu plus détaillée :

« Dans des pays humides tel que l’Irlande (250 jours de pluie par an), un sol détrempé favorise ainsi le développement de plantes hydrophiles (jonc, carex mousse…) et surtout la sphaigne capable d’absorber d’énorme quantités de liquide. C’est cette plante, la sphaigne, qui est à l’origine de la création des tourbières. En absorbant l’eau, celle-ci puise l’oxygène, empêchant les matières mortes de se décomposer. La sphaigne se développe en réalité par-dessus les déchets organiques morts en formant au fil du temps une couche de tourbe qui ne cesse de s’épaissir. C’est ensuite cette tourbe, qui, lorsqu’elle est exploitée par les Irlandais, sert de combustible dans les cheminées. Une tourbière varie de 45 cm à 13 mètres de profondeur, et se constitue essentiellement, d’eau à 95%, et de 5% de déchets organiques tels que, racines, compost, fleurs, graines, etc. »

Dans le passé, cette méthode est venue pallier au manque de forêts, donc de bois pour se chauffer et demeure à ce jour, la solution la plus économique. Cependant, la surexploitation des tourbières, met en danger leur survie, car elles ne parviennent plus à préserver l’équilibre de leurs composés végétaux.


Sur notre retour, Ben me cueille une fleur, pour le romantisme de la chose, puis nous finissons par ramasser suffisamment de fleurs pour en faire un bouquet que je sécherai (hum…mouains).