Le hall du castle, y a des artistes ici! |
Bon nous devons prendre un autre train et
c’est maintenant que le défi commence. Trouver où nous rendre pour le prendre! On
se sent vulnérable, c’est la première fois que nous sommes confrontés à une
langue complètement étrangère et dominante. À Malbork c’était différent, et
même si nous ne comprenions rien de rien au polonais, nous étions en terrain
occidentaux, donc plus de référents culturels et nous arrivions là-bas avec
plusieurs centaines de non Polonais, nous étions attendus. Ici, nous sommes
seuls avec nous-mêmes et nous avons bien hâte de revoir Jay qui en Américain
«japonisé» pourra répondre à nos questions. En effet, il a rencontré sa femme
japonaise à l’université aux États-Unis et depuis, ils sont venus s’installer
ici et ont eu deux petites filles. Pour nous actuellement, il est une bouée de
sauvetage rassurante qui nous attend au loin, et on est TRÈS motivés de la
retrouver. Surtout en ce moment où nous errons un peu désespérément jusqu’à ce
qu’un jeune homme vienne timidement à notre rencontre, c’est visiblement un
employé, et nous demande avec son anglais de survie, si nous avons besoin
d’aide. Oh que oui! J’imagine que ça paraît, mais en ce moment j’ai perdu toute
notion d’orgueil. Benoit lui montre son papier et le jeune homme nous indique
par où aller avec un peu d’hésitation, c’est peut-être parce qu’il a du mal à
traduire en anglais, mais ça semble bon. Nous le remercions en reprenant notre
« maison » sur notre dos en longeant le plus possible les murs pour ne pas
nuire au flot humain qui circule efficacement comme dans un ballet
chorégraphié. Nous tournons le coin et on s’oriente avec les indications du
jeune homme mais ça ne correspond pas! Un peu à bout de patience, nous changeons
de stratégie, moi je reste dans un coin avec les bagages pendant que Ben part à
la recherche du chemin que nous devons prendre.
Ça fonctionne! Ben revient au bout de cinq
minutes, maintenant que nous savons où aller on fait notre check up, nos yens
en poche, notre ticket de transfert, nos bagages, notre courage et notre bonne
humeur check! Maintenant que le stress de désorientation est passé, on observe
autour de nous tous ces gens qui sont silencieux, on a l’impression d’être
tellement bruyant, automatiquement nous baissons le volume. Dans le wagon, je
rencontre mon reflet et celui de Ben dans la vitre, au travers de tous ces
Japonais, y a pas plus touriste que nous. Je croise le regard étonné de deux
enfants qui nous observent, je crois que c’est mes cheveux frisés et très roux
qui les fascinent, mais la maman qui garde les yeux sur son portable les
rappelle discrètement à l’ordre. C’est connu, les Japonais sont l’exemple même
de la politesse. Je leur renvoie tout de même un joli sourire, ce qui les fait
prendre conscience de leur manque de subtilité, gênés, ils détournent vivement
les yeux.
Prochain arrêt, c’est le nôtre, nous
empoignons tout notre stock pour sortir rapidement avant que les portes ne se
referment. Nous repérons vite la sortie et…l’escalier mobile, bon c’est clair
que lorsqu’on réussit à monter dessus, personne ne peut nous dépasser nous
prenons tout l’espace. Dehors, l’air est pas mal plus chaud que celui que nous
avons quitté la veille, pas besoin de manteau. On tente de faire concorder les
indications de Jay avec ce que l’on voit, quand on repère la rue que l’on doit
monter jusqu’au dojo, on ne perd pas de temps. Les affiches de restaurants et
les effluves de bouffe, nous font saliver, mais il est hors de question qu’on
s’arrête pour le moment, chargés comme nous le sommes.
Nous bifurquons sur la petite rue
parallèle qui est moins achalandée et qui est celle de l’adresse qui nous
intéresse ici. Nous réalisons que ça nous prend uniquement des bagages sur
roues lorsque l’on voyage en transport en commun. Benoit transporte 56 kilos
dans trois sacs, et nous devons marcher un bon deux kilomètres, ce qui fait
qu’on doit s’arrêter souvent parce que je ne peux l’aider, étant monopolisée à
pleine capacité. Au moins mes valises sont sur roues mais sont lourdes et se
trimbalent un peu avec difficulté. La nuit est tombée depuis un moment et même
s’il fait noir, nous sommes en mesure de voir à quel point tout est propre,
aucun déchet, aucun mégot ou d’excrément de chien, la végétation est entretenue
et les vélos bien stationnés, droit et sans cadenas apparent. Les machines
distributrices croisées sur le bord de la rue sous les lampadaires donnent une
allure irréelle au paysage extérieur, on dirait presque un décor de studio.
Finalement on trouve notre adresse au bout
de la rue où nous sommes accueillis par quelques membres de l’équipe et
d’autres combattants venus d’ailleurs qui ont répondu à l’invitation de Jay,
tout ce beau monde couche au Dojo comme nous. Jay vient nous rejoindre une
quinzaine de minutes plus tard et nous propose de sortir tous les trois pour
aller luncher dans un resto pas loin, l’un de ceux qui nous interpelait alors
que nous passions avec nos bagages. Et c’est attablés, à 22:00 dans un petit
restaurant sans prétention de Tokyo, avec ce grand gaillard blond beaucoup plus
japonais qu’Américain que nous prenons notre apéro, une bière pour moi et Jay
et un saké pour Benoit. Comme la vie peut être surprenante parfois, en fait je
réalise que la vie que nous menons maintenant nous entraîne sur des routes
souvent inattendues.
Des yens! 100 yens=1,15$ |
Jay reçoit un appel, c’est Killian, de
l’équipe irlandaise, il est arrivé! Nous finissons rapidement pour aller
l’accueillir, j’essaie de tout capter la conversation entre Benoit et Jay sur
le retour pendant que nous marchons vers le dojo, c’est plus difficile pour
moi, visuelle que je suis, car je ne vois pas mon interlocuteur en face ce qui
m’aide normalement à pallier mes lacunes en anglais. Benoit lui parle de notre
balade, parfois tassés, dans le wagon. Jay nous raconte la fois où ses parents
étaient venus lui rendre visite et qu’ils avaient pris le train sur l’heure de
pointe. Sa mère, très grande et plantureuse, s’était retrouvée avec le visage
d’un petit monsieur japonais coincée contre sa poitrine, elle s’était retournée
vers son époux : ‘’Bob! I think I just had a relationship with
this man’’. Son imitation
avec l’accent du Midwest américain est savoureuse et cette anecdote est
caractéristique du clash culturel notamment, la réserve japonaise et
l’expressivité américaine.
Au bout de la rue, nous arrivons au castle
Tintagel, le nom du quartier général de l’équipe japonaise, un endroit qui est
étonnamment grand pour un local à Tokyo. Il est divisé en deux, d’un côté, on
trouve le dojo au rez-de-chaussée et à l’étage au-dessus, une cuisine avec une
table et des chaises et une boutique, de matériel médiéval. De l’autre côté,
c’est là où l’équipe entrepose leurs armures, l’endroit sert aussi d’atelier et
au-dessus, on dirait un grenier et cette semaine il sert de dortoir à une bonne
quinzaine de combattants qui viennent de Nouvelle-Zélande, d’Australie,
d’Autriche et de Pologne. Y a aussi un Américain qui dort pas loin à l’hôtel et
nous et Killian qui dormons directement dans le dojo. Pour nous éviter d’avoir
à apporter lit gonflable et sac de couchage en plus de tout notre barda, nous
louons notre literie. C’est un service génial qui existe là-bas, une compagnie
qui loue des futons avec oreiller et couette et s’il existe un endroit où je ne
crains nullement de louer ma literie c’est bien au Japon, je sais que ce sera
immaculé. Notre literie nous coûte environ 100$ pour la semaine et Jay nous
loge gratuitement, c’est tellement gentil de sa part.
Nous sommes heureux de retrouver Killian,
que nous avons quitté il y a deux mois en Irlande, c’est drôle, en plus des
tournois internationaux annuels, on commence à avoir des ami(e)s d’ailleurs que
l’on retrouve dans un autre ailleurs, nos amis belges en Irlande, notre ami
Irlandais au Japon, c’est à la fois fascinant et à la fois…familier. Nous
réalisons l’étendue de cette grande communauté qui s’installe et se tisse au
sein de l’IMCF.
Benoit tout enthousiaste, discute avec les
autres combattants à l’étage pendant que moi, je l’abandonne pour aller me
coucher, là, je suis vraiment fatiguée et j’ai hâte de mettre mes jambes à
l’horizontal pour leur donner une chance de désenfler. Alors que je ne l’attendais
plus, mon homme vient me rejoindre, j’ignore si c’est par dépit parce que les autres
voulaient se coucher ou si c’est parce que lui-même ne tenait plus debout, n’empêche
qu’on a sombré en moins de deux minutes pendant que de l’autre côté de la planète,
les gens faisaient leurs courses d’avant Noël en plein cœur d’après-midi.
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